Attachés à nos racines et à notre culture kabyle, nous avons pris l'habitude de nous poser en victimes. Victimes d'un déni d'identité, de l'histoire, du sort, du temps, du pouvoir algérien, du cynisme français, de l'indifférence. Eternelles victimes, éternels oubliés de l'histoire et du temps qui passe, les kabyles. Rien n'est plus faux.
Si les kabyles sont inexistants politiquement, ils ne le doivent qu'à eux-mêmes. Je dis bien à eux-mêmes.
Le régime algérien s'est affilié au monde arabo-musulman et ne veut pas entendre parler d'une identité parallèle ou concurrente. Dans cette optique, tous les moyens sont bons pour affaiblir et contrer la contestation et les revendications kabyles. Contrecarrer les aspirations kabyles à une respiration démocratique, à un éveil identitaire.
Ce régime ne cèdera pas. Il n'a aucune raison objective de le faire. Respect des droits des peuples ? Même Bernard Kouchner, inventeur du principe du droit d'ingérence, poufferait si nous invoquions ce principe...
Le seul principe qui vaille dans ce monde, est celui des intérêts économiques. Qu'on le veuille ou non. Vouloir combattre cette réalité, c'est se condamner à perdre notre énergie dans des barouds d'honneur.
Lorsqu'on parle de la Kabylie à des dirigeants internationaux, la première question qu'ils se posent est : "Economiquement, ai-je intérêt à soutenir les kabyles ?". La réponse est évidemment non. La Kabylie ne constitue pas un enjeu économique. Le régime d'Alger assure aux grandes puissances de ce monde leurs intérêts économique en Algérie. Et participe à la luttre contre le terrorisme. A la demande de la communauté internationale.
Ce régime se garde également bien de prendre des positions frontales vis-à-vis du conflit israélo-palestinien, trop conscient de marcher sur du sable mouvant... et de la réprobation des occidentaux en cas de dérapage sur cette question.
Le régime algérien se conforme à tous les codes économiques internationaux afin d'acheter le silence et la bienveillance des puissances occidentales sur ses exactions à l'endroit des populations qu'il administre. Et d'avoir carte blanche sur la gestion intérieure de l'Algérie.
La Kabylie et ses problèmes tribaux est donc le dernier des soucis des gouvernants de ce monde...
La vérité est que nous, Kabyles, sommes responsables de la situation de notre région. Nous sommes responsables du déni de notre culture.
Les Kabyles n'aiment rien tant que de se diviser entre eux. Ils n'aiment rien tant que de se mettre des boulets aux pieds. Naïfs, ils ont de tout temps été instrumentalisés. Les Kabyles rêvent d'émancipation face à l'occupation française ? On crée l'étoile nord africaine en 1929 mais on installe à sa tête un Messali Hadj dont les spécificités kabyles sont le dernier des soucis. La guerre d'indépendance est lancée ? Les Kabyles se sacrifient corps et âme pour la cause avant d'être évincés au moment ou le gâteau de l'indépendance approchait. Le dirigeant kabyle Abane Ramdane est assassiné avec la complicité de... Krim Belkacem, kabyle lui aussi !
Ou sont les Kabyles au moment des accords d'Evian? ils fêtaient naïvement leur nouvel asservissement. Ils enterraient leurs morts. Pendant qu'une poignée d'arabo-musulmans, pragmatiques, confisquaient les clés du pays et de ses richesses.
Le printemps berbère éclate en 1980, Les principaux leaders s'empressent d'en faire une cause nationale, en associant les autres algériens, pourtant indifférents, voire hostiles, diluant ainsi les revendications comme dix centilitres de vin dans un litre d'eau.
C'est la même logique qui va jeter dans l'impasse l'énorme marche des kabyles sur Alger, le 14 juin 2001.
Une grève du cartable est lancée en 1994 ? Les dirigeants du RCD de l'époque s'empresseront d'y mettre fin au moment ou le régime algérien commençait à véritablement trembler.
Lounès Matoub est assassiné en 1998. Par le GIA (émanation des services secrets algériens) ? Ceux qui suivent le combat de tous ceux qui cherchent à faire éclater la vérité sur sa mort savent que ce n'est pas si simple... Un peu d'argent et des avantages matériels et trop de kabyles oublient leur dignité. Nous savons tous que des membres d'un parti politique bien implanté en Kabylie ont les oreilles qui sifflent dans cette affaire.
Vient le gâchis du printemps noir. Des morts. Des divisions. Des incompréhensions. Et une lassitude. Les kabyles sont incapables de s'organiser et de construire l'avenir ensemble. Incapables de s'unir. Incapables de dépasser leurs divergences. D'oublier leur égo. Un égo surdimensionné...
Face à tout cela, les dignitaires du régime algérien ont-ils vraiment besoin de se contorsionner le cerveau pour neutraliser les Kabyles ? allons... La Kabylie n'intéresse les clans du pouvoir qu'en tant qu'instrument. Outil de destabilisation des autres clans.
Lorsque nous créons, avec d'autres camarades, l'association des kabyles de France (ASKAF), afin de nous organiser en France et tenter d'influer dans le champ politique français, qui nous critique ? les Kabyles bien-sûr !
Les Kabyles n'ont pas demandé à être représenté nous dit-on. L'ASKAF est là pour diviser. Ne représente que ses quelques membres.
L'interview d'Ait-Bachir, du MAK, réalisée par l'ASKAF, en collaboration avec Kabyle.com, avait pour but de créer un débat. De faire s'exprimer toutes les opinions. De faire réflechir.
Nous avons eu droit à des insultes et des anathèmes. De la part de ceux qui disent se battre pour... la démocratie. Décidément, ce terme, plus on le prononce, moins il existe. Méfions-nous de ceux qui le dégaine à longueur de temps. N'oublions pas que ce terme est utilisé le plus souvent par ses adversaires. Si l'Algérie s'appelle République Démocratique et populaire, c'est justement parcequ'elle n'est ni démocratique, ni populaire...
Pour sortir de cette fatalité, la première question que l'on doit se poser est : dans quelle mesure, nous, Kabyles sommes responsables de cette situation ? ne donnons-nous le bâton pour nous faire battre ?
Mettre en place une commission chargée de répertorier toutes les erreurs commises par les Kabyles afin d'en tirer les enseignements. Et d'en tirer un nouveau plan d'action. Voilà ce qui nous permettrait sûrement d'avancer dans la bonne direction. Mais ce n'est que mon avis...
Apprenons à débattre, à échanger nos arguments, à réprimer nos instincts primaires, à rester courtois, à ne pas faire de procès d'intention. A écouter l'autre. A essayer de le comprendre. La démocratie, ce n'est rien d'autre que cela : un état d'esprit. Et non un combat de boxe idéologique ou chacun balance à l'autre et de manière péremptoire le coup de poing de ses certitudes.
Arezki BAKIR