Vingt-six juillet mille neuf cent soixante et plus précisément à huit heures du matin, est venu le gendarme Guy annoncer à la SAS (section administrative spéciale) de Frikat, la mort du lieutenant Saïd Boubeghla, connu sous le nom de Saïd N’Ahmadouche.
Aujourd’hui, un CEM à Tizi Gheniff porte le nom de ce vaillant combattant, dont le parcours était exemplaire. Saïd Boubeghla est né le premier juin mille neuf cent trente deux à Tafoughalt, dans la commune mixte de Draâ El Mizan. Très tôt, il fit son entrée dans le militantisme aux côtés d’autres jeunes de son village, qui devint après le déclenchement de la guerre de Libération nationale le fief des moudjahidine. Selon de nombreux témoignages, il côtoya durant la préparation de la guerre, Krim Belkacem, Amar Ouamrane et d’autres premiers militants, à l’image de son cousin Si Djemaâ, Rabah Oumeddour et Lounès Djebara, issus tous de l’actuelle commune d’Aït Yahia Moussa. La veuve du colonel Ali Mellah raconta que quelques jours avant le déclenchement de la guerre, son mari lui présenta huit hommes comme étant des maquisards. “Parmi eux, il y avait deux personnes de Tafoughalt : Si Djemaâ et Saïd N’Ahmadouche”, se souvient-elle. Acquis à l’idée que seules les armes allaient libérer le pays du joug colonial, Saïd N’Ahmadouche fit partie du groupe que le futur colonel Ouamrane avait chargé d’aller à Blida pour y cibler les intérêts des colons dans cette ville à l’appel des premiers militants de la Mitidja. Alors que la guerre prenait de plus en plus d’ampleur, son courage lui valut plusieurs postes avant d’être nommé lieutenant et responsable militaire de la région une de la zone cinq allant des frontières de la wilaya quatre historique, jusqu’à l’ex-Michelet. Saïd Boubeghla et ses pairs livrèrent alors d’âpres batailles à l’Armée coloniale aussi bien à M’kira qu’à Aït Yahia Moussa deux zones connues comme rebelles. En 1955, il fit partie d’un groupe commandé par Boulaouche Mohamed dit Si Mouh Oulhadj, originaire lui aussi de Tafoughalt. Il y avait à ses côtés Hocine Rekam, Ali Boucena, Saïd Kacha, Ahmed Hellal, Ahmed Mokdadi, et Ali Zamoum. En 1959, nous a-t-on dit, il a été l’auteur de la création d’un groupe d’auto-défense à Ouled Mériem, du côté de Tizi Gheniff. Son courage et son sens d’organisation firent de lui un homme-clé dans toutes les batailles. Saïd Boubeghla et les autres s’attaquèrent à tous les intérêts des colons. On nous raconta qu’ils étaient les auteurs des incendies de la mairie, de la Maison du Caïd Ramdane Aït Ouazou à M’kira. Pendant que l’armée française ouvrait des routes vers les villages de la région, Saïd N’Ahmadouche et ses compagnons leur donnèrent du fil à retordre en sabotant leurs ouvrages avec la participation des populations civiles toutes acquises elles aussi à la lutte armée. En 1956, Saïd N’Ahmadouche s’illustra par cette embuscade tendue sur la RN68 au niveau d’Assif El Hammam à un convoi militaire. Ce jour-là, sont tombés au champ d’honneur Abdellah Adjab et Ahmed Hellal. Jusqu’au jour d’aujourd’hui, les personnes âgées racontent l’une des batailles durant laquelle Saïd N’Ahmadouche et ses pairs avaient tué de nombreux jeunes soldats français non habitués à ce genre de guerre du côté d’Igdourène, dans l’actuelle commune de M’kira. Ce valeureux combattant participa à la grande bataille du six janvier à Bougarfène à Aït Yahia Moussa, où plus de trente deux mille hommes ainsi que vingt deux avions de combat étaient mobilisés. Si du côté algérien il y eut beaucoup de morts, notamment des civils, du côté ennemi, les pertes étaient aussi importantes avec la capture puis la mort du capitaine Graziani et du lieutenant Chassin. Saïd N’Ahmadouche continua son combat jusqu’à la fin des années cinquante. On cite encore, les grandes batailles auxquelles il avait participé : bataille de Bouaita, bataille de Tizi Gazgarène (Aït Yahia Moussa), bataille de Tachtiouine pour ne citer que celles-ci.
La dernière pour lui fut celle de vingt-six juillet du côté d’Ath Boumaâza à Frikat, dont voici le récit : Ce jour-là, l’armée française avait mobilisé un effectif nettement supérieur à celui de Saïd N’Ahmadouche et de son groupe. La veille, nous révèle le moudjahid Mohamed Hadj Ali dit Moh Ahniche, c’est-à-dire, le vingt-cinq juillet, un violent accrochage avait mis aux prises sa section à une unité de l’armée française au lieudit actuellement “Domaine Amirouche”. “Deux de notre section étaient blessés alors qu’un autre frère était tombé au champ d’honneur. Je n’avais aucune idée des pertes subies par l’ennemi. Nous étions évacués vers une cache du côté d’Ighil Ivouslamène. Le lendemain, une vaste opération de ratissage avait été déclenchée de Tazrout à Helouane. Notre cache fut repérée car l’un des nôtres capturé la veille leur avait fourni les renseignements”, tel est le témoignage recueilli auprès de ce grand moudjahid, qui nous parla longuement des qualités et de la grandeur de Saïd N’Ahmadouche. Si ce dernier et des milliers d’autres hommes étaient tombés au champ d’honneur, la raison et le patriotisme l’avaient emporté sur l’animosité de l’ennemi après sept ans de guerre sans répit où les maquisards avaient donné une grande leçon à l’une des puissances du monde en matière d’armement. Il faut dire que Saïd N’Ahmadouche était né dans une famille et un village de révolutionnaires. Aujourd’hui, pour rendre hommage au lieutenant Saïd Boubeghla, au commandant Si MOh Oualhadj et à tous les martyrs (au total cent cinquante six chahid) de Tafoughalt, tout le monde est mobilisé sous l’égide du comité de Tadukli pour leur ériger un monument qui restera témoin d’un tel engagement bien avant le déclenchement de la guerre de Libération nationale avec la constitution du premier noyau de militants dans le PPA, le MTLD par Meddour Rabah et les autres. Si nous avions évoqué aujourd’hui le parcours de ce lieutenant, c’est pour rappeler aux jeunes générations les sacrifices de leurs aînés pour que l’Algérie vive libre et indépendante.
Amar Ouramdane