Nous nous sommes trompés. Nous nous sommes rendu compte que nous avons fait fausse route. Oui ! En matière de politique de privatisation et d’investissement, nous nous sommes cassé le nez !»
Kamel Amarni, Alger (Le Soir) - Cette attaque en règle à la politique économique du pays n’est pourtant pas l’œuvre de quelque irréductible opposant au pouvoir. C’est celle de Bouteflika en personne ! Hier à la Coupole du Complexe olympique Mohamed-Boudiaf, Bouteflika avait comme assistance tout le gouvernement, tous les walis, les chefs de daïra et, bien sûr, les présidents d’APW et d’APC, dont la réunion était l’objet officiel de ce show. A l’occasion, le chef de l’Etat retrouvait ses fameux accents qu’on lui connaissait au tout début de son premier mandat. «Franchement, nous sommes un pays vraiment étrange !» s’écrie-t-il, emporté par une fougue que l’on croyait à jamais perdue. «Dans ce pays, dès qu’une réalisation est achevée, il n’y a ni suivi, ni entretien. Rien ! Voyez un peu nos universités, par exemple. A peine achevées, elles sont plus proches des ruines laissées par les Romains qu’autre chose.» Ce n’est là que l’introduction. Abordant le volet économique, il fonce sans concession aucune : «Si le privé, c’est uniquement les boissons gazeuses et les minoteries, nous leur disons, c’est bon ! Nous en avons assez ! L’Andi et toutes ces structures parasitaires doivent être revues. C’est fini ! On ne fait plus de vente en gros. Chaque chose a son prix et celui qui ne met pas le prix «Wallah» il ne prendra rien.» Craignant de ne pas être compris, Bouteflika, fixant l’assistance, reprend, solennel : «J’espère que j’ai été très clair ! Je ne vise personne, ceci est une autocritique. Il est vrai que nous avons traversé une période difficile et étions toujours obligés d’emprunter ces sentiers. Mais il faut bien l’avouer, aujourd’hui, ceux qui nous abreuvaient de leurs ordonnances et de leurs «fetwas» nous ont trompés. Le partenariat et la privatisation, ce n’est pas la même chose (...) Nous nous rendons compte que nous avons fait fausse route ! D’autres nous diront que c’est la mondialisation. Non ! Cette politique n’est conforme ni à nos ambitions, ni à notre histoire, ni aux vœux de notre peuple (...)» Sans transition, il attaque de front les opérateurs étrangers. «Quand quelqu’un vient pour investir 700 millions de dollars et, au bout de trois ans, expatrie deux milliards de dollars, est-ce de l’investissement, ça ? Non ! Cela s’appelle trébucher. Nous avons trébuché et nous nous sommes cassé le nez !» Il enchaîne : «La mondialisation ? D'accord, mais tenons compte des spécificités de chaque pays.» Encore une fois, Bouteflika tient à rappeler : «Je fais ici de l’autocritique et je ne vise personne. Nous avons emprunté un chemin que nous avons cru nous mener au Paradis. Eh bien, nous nous sommes trompés ! Il faut tout revoir.» Cet aveu d’échec signifie-t-il la fin de règne des toutes-puissantes égéries qui ont tracé la politique économique du pays depuis 1999 que sont les Temmar, Chakib Khelil, notamment ?
«Ce ne sont pas des chômeurs mais un fléau que nous avons»
Comme au tout début de son accession au pouvoir, Bouteflika ne manquera pas de s’en prendre, dans son discours de plus d’une heure, à «tout ce qui bouge» ! Au point où son discours prend parfois les allures d’un authentique... meeting cuvée 1999-2000. «Nous nous apprêtons à créer de nouvelles wilayas délégués mais je vous le dis tout de suite, nous manquons cruellement de moyens, pas financiers mais humains ! Nous n’avons pas de walis ! (...) L’Algérie est connue pour être un pays de la drogue et du chômage. Or, depuis 1999, nous avons fait baisser le taux du chômage de 29 à 11%. Mais moi je remets en question même ces 11%. Tous nos jeunes chômeurs veulent travailler dans l’administration. Nous avons pourtant de l’embauche dans l’agriculture et le bâtiment. Mais non ! Eux ils ne veulent que l’administration. Même s’ils ne possèdent pas la qualification nécessaire, ils vous diront qu’ils peuvent travailler comme gardiens. Et de nuit de préférence ! Est-ce un chômeur, ça ? Non ! Ce n’est pas un chômeur mais c’est un fléau !» Il ne s’arrête pas là : «Nous sommes un peuple qui se déteste ! Il faut en finir avec ça !» Et, comme à ses débuts toujours, cette pique en direction de la presse : «Il y a une certaine presse, pourtant amie, qui, un jour, elle vous encense et, le lendemain, elle vous met KO ! Non ! ce n’est pas avec des articles de presse que l’on construit un pays !»
K. A.