Une femme, une voix et une voie[/b]
Le célèbre chanteur et acteur français, Marcel Mouloudji est de père kabyle, descendant des Ath Waghlis, plus exactement d’El Flaye. Outre ces célébrités, à l’image de Amour Abdenour, Aït Daoudi a enfanté une voix digne de celle d’Edith Piaf. Hamsioui Fatma, dite Thahamsiouth a un parcours tumultueux. Elle a débuté dans l’art de chanter et d’animer des fêtes en 1950. Connue de tous, elle est l’élément clef de toutes les cérémonies des Ath Waghlis. Douée d’une voix exceptionnelle et d’un talent en danse traditionnelle, Thahamsaoui sillonna toute la Kabylie mais elle est partie dans les années quatre-vingt sans laisser de traces d’un répertoire riche.
La fête au villageTant de disques, nous décortiquons les affiches et pancartes exposées le long des ruelles de ce village pour découvrir le parcours de ces légendaires hommes et femmes d’Aït Boudaoud, la fête est à son comble. Scindés en plusieurs groupes, les organisateurs ont bien divisé les tâches. Dans un garage, il y a ceux qui s’occupent de découper la viande en morceaux. Tout est fin prêt pour départager dans l’ambiance des portions à tous les foyers. Les démunis ne sont pas oubliés, ils ont droit à des parts gratuitement, souligne Laâziz Chabour, président du comité de village, organisateur de la cérémonie. Il nous révélera que les frais dépensés pour cette traditionnelle fête avoisinent les 60 millions de centimes, prix des trois bœufs compris et qui est de 36 millions. "Mine de rien”, a déclaré l’orateur qui trouve que “la fraternité entre habitants du village n’a pas de prix, et faire la fête avec tous les fils de notre bourgade vaut tout l’or du monde". Ceux qui vivent ailleurs trouvent du plaisir à revenir au bercail, et c’est là, l’objectif rassembleur de cette tradition qui veut faire un trait d’union entre le passé et l’avenir. Dans un autre coin du village, plus exactement au sous-sol de la mosquée qui vient de faire sa mue suite aux travaux réalisés, on reçoit les invités. Vêtus de tenues propres, des jeunes serveurs s’attellent à ce que rien ne manque à leurs hôtes. Autour d’un plat de couscous succulent servi avec des morceaux de viande de veau, on mange à volonté sous les yeux attentifs des organisateurs qui affichent leur souci à satisfaire toute demande. Dehors, on profite d’un panorama paradisiaque qui donne sur cette région d’El Flaye, jusqu’à l’autre rive de la Soummam en passant par Sidi Aïch. Aït Daoud est une localité de quelque
1 400 âmes. En forme d’amphithéâtre, ses petits quartiers bien entretenus sont entrecoupés d’un labyrinthe de ruelles bétonnées. Des petites maisonnettes mais aussi de grandes villas. Limité par les localités voisines Ath Oublaïd, Izghad, Elmaada et El Flaye, Aït Daoud donne sur toute la vallée de la Soummam. Divisé comme le veut la tradition en partie haute et basse, le comité du village a bien pensé réhabiliter les deux fontaines qui font partie du patrimoine ancestral à sauvegarder. L’eau coule à flot de ces deux sources ornées de cruches kabyles. Dans une place, des outils agricoles anciens à même le sol sont exposés. On y trouve une charrue kabyle, principal outil de labour, des accessoires d’agriculture et ceux du métier à tisser font partie de la culture de ce peuple qui lutte contre le déracinement. "Notre village est cité comme exemple dans son attachement aux traditions et à la solidarité pour la chose collective", nous dira fièrement un organisateur. Pour lui, cet événement est une suite logique des traditions ancrées au sein des Ath Waghlis, une tribu qui a son histoire et sa géographie. Il fait partie des plus importants habitants de ces massifs de la basse Kabylie, les Ath Waghlis qui sont restés autonomes de l’autorité turque. On dit qu’en 1555, toutes les tribus de la région payèrent des impôts au régisseur de la province de Bougie et au caïd ottoman, à l’exclusion du douar Ath Waghlis. Occupant une place stratégique, ils se rétractent au contreforts d’Akfadou pour se mettre à l’abri des troupes ottomanes. D’une densité populaire importante l’ârch Ath Waghlis fut composé en 1880, de 20 000 habitants éparpillés sur une superficie de 7 450 ha. Les deux premières écoles furent construites à El Flaye en 1885. Le père spirituel de cette tribu qui s’étend de Sidi Aïch jusqu’au sommet d’Akfadou, en lisière avec les Ath Mansour, est pour une version un marin d’origine grecque. Weghlis aurait accosté à Bougie, il remonte le cours de la vallée de la Soummam et attiré certainement par les pentes boisées du versant sud de l’Akfadou y grimpa et s’installa pour la première fois au lieu dit actuellement Djemma Mi Gour entre Souk Ouffela et Mezgoug. Weghlis aurait eu 21 enfants dont Soula, Aabdoun, Zountar, et Badjou. Malgré les siècles passés depuis cette naissance d’un peuple, les Ath Waghlis aujourd’hui gardent jalousement leur origine et ne cessent d’appeler à unifier les rangs pour une continuité dans le chemin tracé par ce père spirituel et fondateur d’un peuple humble et bon vivant. La fin de la journée approche, l’imam de la mosquée appelle depuis son minaret les habitants à se présenter pour la distribution des portions de viande. On fait d’abord dans la vente aux enchères des têtes et pieds des trois veaux égorgés. Dans un brouhaha général, les cris s’élèvent, "3 000, 4 000, 4 600", enfin ils ont été cédés à 5 000 DA la tête. Une somme d’argent qui va rejoindre la caisse du village. Une fois close la séance de la vente aux enchères, on passe à la distribution des parts de viande. Liste en main, un des organisateurs invite à tour de rôle les habitants inscrits. Il y a 310 parts à distribuer qui sont égales au nombre de foyers du village. A l’extérieur du garage, une foule attend son tour pour recevoir sa part de viande ayant un goût exceptionnel, car elle provient des bœux sacrifiés. Le soleil a pris sa trajectoire décroissante on passe à une pause-café pour entamer la dernière phase de la fête. Rendez-vous au terrain de jeu du village. Une scène est déjà installée. Place aux récompenses. Un organisateur monte sur la scène et appelle les dix lauréats au bac sur les douze candidats du village. Des cadeaux sont distribués suivis de tonnerres d’applaudissements et des youyous de nombreuses femmes venues assister à cette cérémonie de remise des prix. Les sportifs, notamment les joueurs de foot du tournoi ne sont pas oubliés. Ils seront à leur tour appelés à recevoir leurs cadeaux des mains des autorités et des notables. Remerciements aux invités, l’on annonce qu’un gala artistique sera animé par une pléiade d’artistes de la région dont Massinissa, Chikh Madani, Ferhani, Nafaa, Akli Ath Waghlis et la coqueluche Amour Abdenour. Ce dernier qui a participé au tournoi de foot parmi l’équipe des vétérans a montré que l’auteur de la célèbre chanson Lcar n’est pas seulement bon chanteur mais aussi grand joueur. La nuit commence à tomber et l’on s’apprête à prendre place pour déguster la musique du terroir. Deux accès sont réservés pour rejoindre la place du spectacle, celle d’en bas est pour les familles et celle d’en haut pour les invités afin de mieux filtrer la foule et de dissuader les intrus et les trouble-fêtes. La fête a donné lieu à une ambiance bonne enfant. Elle n’a pris fin que tard dans la nuit pour permettre de clôturer cette cérémonie en apothéose. Beaucoup parmi les Ath Waghlis ont partagé ces moments de joie, mais surtout pour renforcer les liens fraternels. Nous quittons cette région d’El Flaye avec le sentiment de vouloir revenir un jour pour retrouver ces humbles gens fiers de leur terre. Car, la terre nous apprend plus sur nous que tous les terres ; parce qu’elle nous résiste. L’homme se découvre quand il se mesure avec l’obstacle. Mais pour l’atteindre, il faut un outil, érit Saint-Exupery dans Terre des hommes. Cet outil chez les Ath Waghlis est la symbiose et la fraternité qui règnent au sein de ce peuple. Un douar qui symbolise civisme, progrès mais surtout sagesse du raisonnement.
Nadir Touati