La versatilité d’une partie de la
presse algérienne n’est pas une nouveauté mais là, franchement, c’est
du tragicomique : des quotidiens qui prédisaient la victoire en Coupe
d’Afrique et qui avaient porté Rabah Saâdane au rang de héros national
retournent subitement leurs vestes et nous inondent de critiques,
parfois au vitriol, sur tout ce qu’ils avaient encensé auparavant : le
coach, Raouraoua, les joueurs… C’est incroyable ! Nous avons encore
tous en mémoire ces titres dithyrambiques, ces superlatifs élogieux et
ces commentaires apologiques qui accueillaient l’équipe nationale à son
arrivée à Alger. Et quel accueil ! Même une formation ayant remporté la
Coupe du monde n’aurait pas eu droit à un tel traitement de la part de
certains journaux !
Nous avons parcouru les «unes» d’il y a moins
d’un mois, c’est à croire que ces rédactions ont été changées du tout
au tout… Si nous respectons les points de vue de certains titres
prestigieux qui ont fait un choix anti-Saâdane très clair dès le départ
et qui trouvent dans cette lourde défaite matière à rappeler leurs
positions antérieures, nous sommes absolument scandalisés par la
volte-face de certains journaux à grand tirage, passés maîtres dans
l’art de la manipulation. A l’origine, le manque flagrant de
professionnalisme : ces pseudo-journalistes n’ayant aucune formation
spécifique, incapables de faire une analyse technico-tactique ou de
citer quelques règlements essentiels du jeu à onze, se mettent à écrire
n’importe quoi. D’abord, ils réagissent comme n’importe quel supporter
passionné : l’équipe gagne et elle devient la meilleure du monde ; elle
perd, et c’est la colère aveugle. Ensuite, leur incapacité à faire du
journalisme sportif (qu’ils relisent El Moudjahid d’antan, El Hadef ou
Ech Chaâb !) les détourne de la vocation première d’une rubrique
sportive où ne doivent activer que les journalistes spécialisés en la
matière : commenter, analyser, éduquer, perpétuer les valeurs
essentielles du sport… Le champ est alors ouvert aux potins, rumeurs et
autres médisances… Les Verts ont perdu et cela n’est pas la surprise du
siècle ! La veille du match fatidique, nous écrivions qu’il était
«difficile de faire un quelconque pronostic car, à ce stade de la
compétition, tous les qualifiés se valent…». ajoutant : «L’Algérie a
toujours éprouvé de grandes difficultés à venir à bout des équipes qui
ne sont pas dotées d’un palmarès huppé.» Par contre, ce qui était
peut-être inattendu est la lourdeur de la défaite. On ne peut pas
annoncer une consécration en Coupe d’Afrique et je ne sais quoi en
Coupe du monde la veille et tirer à boulets rouges sur l’équipe le
lendemain. Le professionnalisme, — heureusement qu’il existe chez
certains titres ayant vainement appelé les responsables de l’équipe
nationale à revoir leur plan de campagne —, c’était de dire avant cette
CAN : on ne prépare pas une compétition se déroulant sous des latitudes
tropicales à moins zéro de température ! On doit obligatoirement,
nécessairement, impérativement jouer des matchs de préparation ! Ce
n’est pas une lubie de journaliste opposé au staff technique, mais une
condition sine qua non pour tester les joueurs, assurer la cohésion de
l’équipe et rôder les automatismes. Enfin, il semble difficile pour des
joueurs promus soudainement au rang de stars et engagés dans des
discussions avec des clubs européens huppés de se concentrer sur une
compétition africaine que l’on a tendance à mépriser tant les milliards
peuvent tourner certaines têtes. Pour avoir alerté l’opinion publique,
certaines réactions ont été presque traitées de «haute trahison» ! Je
ne peux concevoir que l’on puisse critiquer le président de la
République et épargner le patron de la FAF ou l’entraîneur national et
s’il y a eu de fausses informations sur le stage de France ou une
quelconque diffamation, les tribunaux sont là pour accueillir les
plaintes. D’ailleurs, certains manipulateurs cachés dans nos rangs et
ayant inventé l’histoire des supporters algériens morts en Egypte
auraient dû être inquiétés. Au lieu de cela, les autorités, par la voix
du ministre délégué à la Communication, n’interviennent que pour nous
rappeler notre devoir de solidarité vis-à-vis des Verts ! Si ces
derniers gagnent leur prochain match, nous allons assister à un autre
retournement de vestes tout aussi spectaculaire alors qu’un succès face
au Mali n’assure pas automatiquement une qualification au second tour.
Quelle que soit l’issue de ce tournoi — nous nous interdisons tout
pronostic —, il serait sage de reconnaître les faiblesses criantes de
cette équipe nationale, momentanément cachés par la corrida face aux
Pharaons, et de s’atteler à les corriger avant le grand rendez-vous
sud-africain ! Chacun est libre de ses choix. Cependant, ceux qui
demandent le changement de Saâdane semblent oublier que cet homme a
mené l’Algérie trois fois au Mondial ! Qu’ils nous présentent un
meilleur palmarès pour nous convaincre ! Nous aussi, nous sommes libres
de nos choix : un soutien inconditionnel à Saâdane pour qu’il puisse
continuer sa mission. Une élimination en Coupe d’Afrique n’est pas la
fin du monde. Par deux fois, en 2006 et en 2008, nous n’y sommes même
pas allés : peut-être qu’à ces moments-là, la Fédération suivait les
conseils de certains journalistes… Merci, Rabah, de nous avoir
qualifiés à la CAN ! Quant au Mondial, c’est «ta» spécialité…
Maâmar Farah
Le Soir d'Algerie : 13/01/2010