Vingt et un ans après l’assassinat de l’avocat Ali Mécili, Mohamed Ziane Hassani, commanditaire présumé de cet acte a été arrêté jeudi en France. Quelle est votre réaction ?
Je suis euphorique ! Ce réveil de la justice française après 21 ans de déni de justice est un véritable triomphe de la justice. J’espère maintenant que les choses iront jusqu’au bout.
Pour moi, il n’y a pas de justice sans éthique de la justice. Au lieu de se gargariser de droits de l’Homme, il faut commencer par civiliser la politique et garantir l’indépendance de la justice des deux cotés de la Méditerranée.
Mohamed Ziane Hassani est-il le seul commanditaire de cet assassinat ou pensez-vous que d’autres personnes devraient être également convoquées par la justice française?
C’est l’affaire de la justice française. Mais le dossier a établi sans ambages la complicité d’autres personnes dans ce dossier. Je fais confiance au juge en charge du dossier. Quant aux commanditaires politiques, c’est une autre histoire. C’est l’histoire d’une police politique qui a pris en otage la justice de notre pays depuis l’indépendance.
Pourquoi, selon vous, la justice française a-t-elle mis plus de 20 ans pour lancer des mandats d’arrêt contre des commanditaires et auteur présumés de cet assassinat ?
Vous savez, la lâcheté des deux États a réussi à effacer la mémoire de l’exécution de Mécili au point où son épouse, Annie Mécili, n’est même pas parvenue à faire publier le moindre texte dénonçant l’impunité du commanditaire de l’exécution de son mari.
C’est précisément pour lutter contre cette amnésie érigée en mode de gouvernance et de gestion de la société qu’il m’a paru de salubrité publique, 20 ans après l’assassinat de Ali, de rééditer et étoffer le livre « L’affaire Mécili » que j’avais publié en 1989, avec de nouveaux éléments.
Force est donc de constater que ce meurtre n’est pas une bavure ni un accident de parcours. C’est au contraire une constante depuis l’indépendance. C’est une volonté des tenants du régime de détruire le politique jusqu’à l’idée même de la politique. Au besoin, par l’exécution de ceux qui menacent les fondements de leur régime. C'est-à-dire, des personnes capables de penser et de mener des combats politiques autonomes pour les droits de l’homme et la démocratie.
Vous avez régulièrement dénoncé l’impunité accordée par la France aux commanditaires et auteur présumés de l’assassinat de M. Mécili. Comment peut-on expliquer cette attitude des autorités françaises ? Dans cette affaire, il y a tous les ingrédients d’un vrai polar «barbouzo-totalitaire» qui se déroule derrière les murs de la raison d’Etat et des déraisons des contrats. Que dire notamment de M. Pasqua, qui avait envoyé à Alger le tueur alors que son implication ne faisait aucun doute puisqu’il était porteur d’un ordre de mission de la police politique signé précisément par le « sieur » Hassani qui vient d’être arrêté à Paris. Par ailleurs, plus significatif encore, le coup de téléphone de ce ministre de l’Intérieur français à l’ambassadeur d’Algérie à Paris rien que pour le rassurer sur le fait que l’Algérie n’avait rien à faire dans cette histoire. C’est de là qu’a commencé la connivence.
Le changement de président en France, avec l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy en 2007, a-t-il contribué à débloquer ce dossier ?
Je crois que les choses ont été menées à son insu. Je crois que les initiatives viennent du nouveau juge Thouvenot qui a repris le dossier au juge Bruguière. Ce dernier avait refusé de faire aboutir les choses. A mon avis, le pouvoir politique français n’a pas joué un rôle déterminant dans cette évolution du dossier. Je crois qu’il a même été dépassé par l’initiative du juge Thouvenot. C’est pour cela que nous craignons pour l’avenir.
Craignez-vous que Mohamed Ziane Hassani quitte le territoire français avant la tenue de son procès ?
Cela pourrait évidemment bien se produire, sans exclure une planification préalable des deux cotés.
La justice française a décidé de lancer un mandat d’arrêt contre M. Hassani à la suite du témoignage en 2003 de Mohamed Samraoui, un ancien responsable des services secrets algériens aujourd’hui exilé en Allemagne. Avez-vous d’autres éléments pouvant renforcer la thèse d’une implication de M. Hassani dans cet assassinat ?
J’ai tout écrit sur cette affaire. Déjà en 1989, dans « L’Affaire Mécili ». J’ai rajouté des choses dans mon livre, réédité récemment. C’était très clair. On a cité des noms, comment ils se sont réunis, etc. Mais je crois que l’élément qui a fondé la conviction du juge est le témoignage de Samraoui en 2003. Quand il a raconté comment il avait accompagné Hassani pour aller voir Amalou, le tueur et le convaincre d’accepter 800 000 francs pour son « boulot » en attendant le reste.
Qu’attendez-vous du procès de Mohamed Ziane Hassani ?
J’espère que ça sera la fin de l’impunité. Dans cette affaire, en tout cas. Que ça sera le succès de la justice. Au moment où le refus de l’impunité gagne du terrain sur le plan international, comment la France pourrait-elle faire sur ce problème de l’impunité une discrimination exceptionnelle sur l’Algérie sans avouer clairement que la vie des Algériens ne vaut la vie des autres peuples ?
IN TOUT SUR L ALGERIE