Toponymie et Histoire
Malheur aux vaincus !
L’administration coloniale a voulu faire des rues, places, établissements scolaires, agglomérations nouvelles construites pour accommoder les colons au profit desquels les terres dont les propriétaires légitimes algériens avaient été dépossédés, une sorte de livre d’histoire à ciel ouvert rappelant les noms de tous les généraux qui avaient massacré de « l’indigène, » de toutes les batailles qu’ils avaient gagné ou des « héros » qui s’étaient couvert de gloire dans les batailles qu’ils avaient perdu lors de l’invasion de l’Algérie et des multiples rebellions qui avaient réprimées dans le sang.
On n’avait besoin ni de savoir lire, ni d’avoir été à l’école pour connaitre la liste complète de ces noms, dont d’ailleurs, peu à peu le souvenir de ceux et ce qu’ils représentaient. Bugeaud, Randon, Valée, Duc Descars, Rovigo, Lamoricière, Duperré, Yusuf, etc. étaient des noms répétés ad libitum dans les conversations, les adresses, la presse, etc. sans que même ceux qui les utilisaient aient su, à quelques lettrés prés, quels personnages, couvert du sang des Algériens, ils cachaient.
Ces noms, qui rappelaient aux conquérants comme aux conquis comment la terre algérienne avait été arrachée par la violence extrême à ses propriétaires légitime, et qui étaient les maîtres, étaient , parfois, complétés par les noms de Chrétiens animés de l’esprit de croisade, tel l’Espagnol Ximénés, cardinal du XVIème siècle qui avait poussé les rois d’Espagne à la conquête et à la conversion de l’Algérie, avait même accompagné les troupes espagnoles lors de la prise d’Oran en 1509, tel le cardinal Dupuch, qui, avait fait le projet de transformer les grandes mosquées de Tlemcen et d’Alger en cathédrales et en sièges d’évêchés, et finalement tel le cardinal Lavigerie, qui avait établi un programme de christianisation forcée du peuple Algérien, et avait exploité la famine de 1868 pour pousser de pauvres hères à se convertir pour ne pas mourir de faim. Bref, c’étaient de bons Chrétiens qui ignoraient les enseignements de paix, de charité et d’humanité des Evangiles, des profiteurs de guerre saisissant l’occasion de la défaite militaire d’un peuple, pour répandre leur doctrine religieuse, bref la croix se couvrant de l’épée.
Noms de Voies Publiques et Héros Nationaux
A l’indépendance de l’Algérie, les autorités publiques choisirent de remplacer tous ces noms qui rappelaient des souvenirs par trop cruels et humiliants, par ceux de héros tombés au champs d’honneur, soit les armes à la main, soit sommairement exécutés par les forces coloniales, soit guillotinés après des semblants de procès dont les sentences étaient décidées à l’avance par les juges coloniaux, en application des instructions qu’ils recevaient de leurs autorités de tutelles.
L’engagement pour l’indépendance du pays des personnes dont les noms avaient été donnés aux lieux débaptisés ne faisait pas de doute : qui peut contester à Ahmed Zabana, Hassiba Ben Bouali, Didouche Mourad, Larbi Ben Mhidi, Amirouche, Zirout Youcef, la qualité de héros nationaux ?
L’Emir Abdelkader, qui fut l’âme de la résistance nationale contre l’envahisseur, ne fut pas oublié non plus.
Bref, l’espace public était de nouveau réapproprié pour la glorification des femmes et hommes qui avaient contribué à la renaissance de la nation algérienne moderne.
Parmi les Héros, Un nom qui Détone
Cependant, par une décision, dont on
ne connait ni l’origine, ni les motivations, un nom vint baptiser une rue importante de la capitale, à laquelle, on ne sait pour quelle raison, les occupants avaient décidé de garder le nom de lieu, le Telemly, qu’elle portait avant le 5 juillet 1830, y ajoutant seulement la qualification de « boulevard, » ou rue périphérique.
Salah Mohand Bouakouir, le seul haut fonctionnaire algérien dans l’administration coloniale, se vit conférer, l’honneur, à titre posthume, de pérenniser son nom par son inscription officielle dans l’espace algérois. Ce boulevard est l’un des quatre axes principaux de circulation du centre de la ville.
C’est dire en quelle estime Bouakouir était tenu par celui ou ceux qui avaient pris la décision de réserver son nom à une si importante artère de la capitale, artère menant à cinq symboles de la souveraineté nationale : la Présidence de la République, le palais du Gouvernement, le Ministère de la Défense, le Palais du Peuple et à la Banque centrale !
Une telle décision a-t-elle été prise collégialement ou au titre d’une autorité personnelle, politique ou administrative du moment ? Sous quelle motivation et en conséquence de quels arguments ? Qui pourrait répondre à ces questions légitimes ?
Ainsi Bouakouir, ce serviteur fidèle du gouvernement colonial de l’Algérie, se retrouvait, de manière quelque peu paradoxale, pour ne pas dire absurde, placé au même niveau d’engagement politique et d’abnégation pour la cause nationale que Abane Ramdane, Larbi Ben Mhidi, Amirouche, Didouche Mourad et Zirout Youcef, dont les circonstances de leur mort pendant la guerre de libération est connue, alors que Krim Belkacem, trop connu pour qu’on rappelle son rôle crucial dans l’organisation et le déclenchement de la guerre de libération nationale, Abdelhafid Boussouf et Boudiaf, qui n’exigent pas qu’on les présentent, Ferhat Abbas et bien d’autres, alors en vie, étaient soit en exil ou en résidence surveillé.
Même Mostefa Benboulaid, un des grands noms de la lutte de libération, condamné à mort par la justice coloniale et évadée de la Koudia de Constantine dans des conditions dramatiques décrites avec détail par le ColonelTahar Zbiri dans son autobiographie en arabe, se vit donner le nom d’une rue moins importante que celle attribuée à Bouakouir.
Un Homme Exceptionnel
Il ne s’agit nullement de diminuer le caractère exceptionnel de la personnalité de Bouakouir. Le rappel de son parcours personnel, même manquant de nombre de détails, prouve qu’effectivement il mérite non seulement d’être qualifié de grand homme dont l’Algérie peut tirer fierté, mais également de nationaliste et de héros dans un contexte politique et social particulièrement ambiguë et où il fallait beaucoup d’intelligence et de doigté pour conduire sa vie en acceptant les compromis sans tomber dans la compromission.
La vie de Bouakouir doit être replacée dans le contexte colonial, pour être jugée. Lui appliquer des étiquettes absolues et sans appel ressortit de l’anachronisme.
C’était un Algérien doué d’une grande puissance intellectuelle qui, donc, avait un droit à la fois naturel et légitime, à jouer un grand rôle dans une société fondée sur la domination d’un peuple par un autre peuple, et il se trouvait faire partie du peuple dominé. Il a choisi d’aller jusqu’au bout de ses dons dans un contexte où il se trouvait tenu d’accepter la hiérarchie politique et sociale imposée par le système colonial, pour se voir reconnaitre son droit à la prééminence sociale.
Il a pris, pour cela, le chemin de la compétence technique, alors qu’il aurait pu tout aussi bien, comme d’autres l’ont fait, naviguer dans les eaux troubles de la politique de collaboration en mettant à la disposition des autorités de l’époque, son intelligence, pour les aider à maintenir leur domination sur une population au bout du désespoir.
On peut dire que ce fut tout à son honneur qu’il ait choisi la voie difficile, si ce n’est quasi impossible, des études supérieures, pour satisfaire l’ambition sociale à la mesure de ses dons naturels.
Un des Quatre Diplômés Algériens de l’Ecole Polytechnique de Paris avant 1962
0BL’école polytechnique, institution militaire de formation supérieure, était, et reste, l’un des établissements français les plus élitistes ; n’y accèdent que les plus doués parmi les bacheliers. Bien que ce fût, à l’époque où Bouakouir y a fait acte de candidature , un établissement quasiment interdit d’accès aux Algériens, si doués fussent-ils, puisqu’ils devaient soit avoir la nationalité française, soit s’engager à la prendre après y avoir terminé leurs études, il put obtenir du ministre français de la défense de l’époque, le mathématicien renommé Paul Painlevé, membre du parti radical socialiste, l’autorisation spéciale de participer au concours d’entrée de cette école en 1927. 1BCe sont ses dons particulièrement remarquables en mathématiques qui lui valurent cette dérogation. Voici donc un enfant de Guenzet des Beni Yala, dans le nord de la wilaya de Sétif, élève d’une des écoles les plus prestigieuses et les plus fermées du monde, à laquelle il accède quarante ans après un autre algérien originaire de Souk Ahras, Chérif Yves Cadi,(voir : Le colonel Cherif Cadi: serviteur de l'islam et de la République Par Jean-Yves Bertrand-Cadi) qui devait embrasser le métier des armes après avoir obtenu le diplôme d’ingénieur et terminer sa vie comme colonel de l’Armée française.et quelques neuf ans après Omar Edouard Mouloud, qui devint le premier Algérien directeur général de la SNCFA ;(voir : Anousheh Karvar : «La formation des élèves tunisiens, marocaines et algériens à l’école polytechnique française(1921-2000) : des acteurs de l’histoire aux « élites de peu ; », Institut de Recherche sur le Maghreb Contemporain, 2001»)
Une Carrière Administrative Hors du Commun
Trois ans plus tard, Bouakouir obtient son diplôme d’ingénieur. Il poursuit des études complémentaires d’ingénieur naval à l’école du Génie Maritime. Il s’engage, après cela, dans l’administration coloniale. Pendant la seconde guerre mondiale, le Général Weygand, gouverneur de l’Algérie nommé par le maréchal Pétain, nomme, en Décembre 1941, Bouakouir membre de la municipalité d’Alger, présidée par un français, Augustin Rozis, et comprenant, outre Bouakouir, sept autres Algériens.
En 1944, une ordonnance française donne le droit aux Algériens d’accéder à des fonctions supérieures dans l’administration coloniale. Bouakouir, dont il est à souligner qu’il n’avait pas pris le chemin de la naturalisation française, et donc gardait son statut d’indigène, est promus, en 1947, et sur la base de cette ordonnance, Directeur de l’Energie, du Commerce et de l’Industrie au Gouvernement général de l’Algérie.
Il devient alors le plus haut fonctionnaire algérien de cette institution, et fait partie des personnalités dont le nom est souvent cité dans la presse coloniale ; il est même invité à présider des cérémonies de fin d’année scolaire et de remise de diplômes. Ainsi, on le voit, en juin 1950, présider la clôture de l’année scolaire dans ce haut lieu de la formation de la future élite coloniale qu’était le lycée Bugeaud.
Un Haut Fonctionnaire Colonial Fidèle et Compétent
Pendant la guerre de libération nationale, il continue son ascension dans la hiérarchie administrative, devient directeur général des services économiques au secrétariat d’état aux affaires algériennes, tenu par un autre Algérien, Abdelkader Barakrok, homme politique, proche du MNA, originaire de Khenguet Sidi Naji, (1915-2006).
En décembre 1958, Paul Delouvrier, nommé par De Gaulle délégué général pour l’Algérie, promeut Bouakouir au poste de secrétaire général adjoint pour les affaires économiques. A ce titre, celui-ci devient le troisième plus haut fonctionnaire de l’administration coloniale en Algérie. Delouvrier confie même qu’il l’a chargé d’une mission auprés du GPRA à Tunis pour obtenir la garantie, contre payement d’une certaine somme, de la liberté d’écoulement du pétrole et du gaz du Sahara algérien. Réda Malek a apporté un démenti formel à cette information.
Finalement, pour couronner sa carrière, il semble qu’il ait été pressenti, au même titre que Abderrahmane Farès, à la présidence de l’Exécutif provisoire, instance faisant partie des propositions en négociation alors avec le GPRA, et qui devait administrer l’Algérie pendant la période suivant le cessez-le-feu jusqu’à la mise en place des institutions étatiques de l’Algérie indépendante. (voir: Helmutt Eisenhans: « La Guerre d’Algérie : 1854-1962, La Transition d’une France à une Autre, 2000, p. 182, » citant un article de Stibbe sur « France Observateur du Premier Mars 1961).
La carrière de Bouakouir prend fin dramatiquement et brutalement le 24 septembre 1961 ; grand adepte de la pêche sous-marine, il est assassiné, lors d’une sortie en mer organisée avec certains de ses collègues français, par noyade, sans aucun doute sur ordre des services spéciaux ennemis, qui lui reprochaient d’avoir organisé un réseau de collecte d’information au profit du MALG.
Un Homme qui Croyait à l’Indépendance de l’Algérie
Bouakouir a délibérément choisi d’éviter tout engagement direct dans des activités politiques, nationalistes ou autres. Jusqu’à la fin de sa vie, il s’est abstenu de faire toutes déclarations ou de prendre toutes positions publiques laissant deviner ses choix profonds.
Il n’en reste pas moins qu’en refusant de prendre la nationalité française et donc, de se débarrasser de l’opprobre alors attaché au statut d’indigène, qui frappait d’ailleurs même les Algériens christianisés, il a montré où ses préférences allaient.
D’autre part, dans ses fonctions, il a tenté, si ce n’est de faire disparaitre, du moins, de réduire l’impact du pacte colonial qui faisait de l’économie algérienne, une économie quasi entièrement fondée sur la production agricole en complément de l’économie de la métropole.
Il était un partisan fervent de l’industrialisation de l’Algérie et avait rédigé plusieurs articles, y compris dans la prestigieuse revue d’économie politique française, article où il défendait la nécessité de doter le pays d’une industrie de transformation compétitive.
Lors de la guerre de libération nationale, il est un des concepteurs du document de 526 pages, préparé en 1957,( à la suite des résultats de l’enquête de la commission Maspétiol sur les causes de la « rébellion algérienne ») portant sur le développement de l’Algérie qui devait servir de base au plan de Constantine lancé par De Gaulle en Septembre 1958.
Au-delà des objectifs purement politiques de ce plan, qui n’ont pas échappé au GPRA, ce programme comportait des aspects positifs pour une Algérie indépendance. D’ailleurs, selon ses proches collaborateurs tant au niveau de l’administration qu’il dirigeait, que du Conseil Supérieur du Plan de Constantine, installé à Paris et qu’il présidait, il ne cachait pas le fait que nombre de ses actions allaient dans le sens de la préparation de l’indépendance algérienne, à laquelle il croyait.
Il était considéré comme « nationaliste modéré » et Delouvrier lui-même rappelle que Bouakouir avait accepté le poste de secrétaire général adjoint sur accord tacite du FLN. ( voir : Maurice Faivre : « Archives Inédites de la Politique Algérienne, 1958-1962, 2000, » et Daniel Lefeuvre : « Chère Algérie »)
Quels étaient ses contacts avec le FLN A Alger ?
Il ne semble pas que Bouakouir ait eu des contacts poussés avec les différentes organisations qui menaient la résistance dans la capitale algérienne. Sans aucun coute, il a dû côtoyer des Algériens militants, et leur exprimer sa sympathie sans allers au-delà.
Mais, ce qui est certain, c’est qu’il n’a jamais été l’objet d’attaques, et que, malgré ses fonctions supérieures au sein de l’administration coloniale, il a vécu une vie normale de haut fonctionnaire, et n’était pas entouré d’une garde spéciale quelconque. Ceci prouve qu’il jouissait d’une réputation favorable auprès des groupes militants.
A quelle époque a-t-il pris contact avec le GPRA ? Et comment est-il devenu agent du MALG ?
Il semble bien que Bouakouir connaissait Ferhat Abbas dés avant la seconde mondiale, puisque celui-ci le cite, dans un de ses écrits datant de la fin des années trente du siècle dernier, comme un membre de l’élite algérienne nouvelle, et ensuite, fait mention de son assassinat dans un de ses livres auto-biographiques.( voir : Jean de la Guérivière : « Amère Méditerranée : Le Maghreb et Nous, 2004, p. 203 »)( voir également : Ferhat Abbas: « Le Jeune Algérien, 1930, De la Colonie vers la Province, 1981»)
Avait-il gardé le contact avec Abbas après 1955? On ne peut répondre à cette question que par l’affirmative, car il aurait difficile de comprendre comment il a pu rencontrer un membre du GPRA en 1959 à Delhi s’il n’avait pas bénéficié d’une recommandation forte d’un de ses membres. Le fait est qu’à partir de 1960, il est chargé par le MALG non seulement de mettre en place un réseau de collecte de renseignements avec les fonctionnaires supérieurs algériens de confiance, mais également de dresser une liste de sympathisants auxquels on pouvait faire appel, dans le cadre d’une opération concertée de noyautage de l’administration coloniale destinée à faciliter des actions politiques ou autres futures de grande envergure. (Voir : Mohammed Harbi : Le FLN, Mythes et Réalités.»)
Il réussit même à intégrer dans son groupe Abdelkader Barakrok, plusieurs fois membre du gouvernent français, recrue de choix puisque c’était un homme proche de l’Elysée, très introduit dans la classe politique française, et source précieuse d’informations stratégiques nécessaires à la délégation du GPRA qui avait commencé son cycle de négociations avec les autorités coloniales.
D’ailleurs, et ceci prouve l’importance de ce recrutement, Barakrok fut chargé par De Gaulle d’une mission secrète auprès du GPRA pour relancer les négociations. Ainsi Barakrok s’est retrouvé face à des représentants algériens qui ignoraient qu’il travaillait pour le MALG dans le cadre du réseau Bouakouir !
Un Homme d’un Grand Courage Physique
Bouakouir était un homme qui ne manquait pas de courage physique.
Ce courage a été non seulement prouvé par son engagement dans une mission secrète dangereuse et qui devait lui coûter la vie, mais également dans son attitude face à la tentative de putsch menée par le Général Zeller contre De Gaulle en Avril 1961.
Convoqué par le général félon le 24 avril, Bouakouir refuse de reconnaitre son autorité et l’informe qu’il démissionne de son poste et délègue ses responsabilités à ses adjoints.
La détermination de Bouakouir a incité d’autres hauts fonctionnaires de souche françaises à rejeter toute idée de collaboration avec les putschistes. Bouakouir a donc joué un rôle crucial dans l’échec de ce putsch, dont la réussite aurait, sans aucun doute, abouti à l’arrêt des négociations de paix fortement engagées alors, et à la reprise de la guerre sous une forme encore plus violente.
Ce rôle d’une importance historique inégalée dans les évènements de la lutte de libération nationale lui a été reconnu par son chef hiérarchique, Delouvrier.
En conclusion
1. La toponymie a des aspects politiques qui ne peuvent être passés sous silence ou ignorés ;
2. L’administration coloniale française a donné aux lieux de passages et aux localités nouvelles ou anciennes des noms des principaux acteurs de sa guerre d’invasion, et glorifiant les hommes de religion poussés par l’esprit de croisade contre l’Islam ;
3. A l’indépendance, ces noms ont été remplacés par ceux des héros de la guerre de libération ;
4. Cependant, certains de ces leaders qui avaient joué un rôle central dans la lutte pour l’indépendance ont été oblitérés de la conscience collective pour des motifs politiques circonstanciels et leurs noms bannis de l’histoire officielle comme de la toponymie publique ;
5. Le nom de Salah Bouakouir, haut fonctionnaire algérien de la période coloniale a été choisi pour désigner le boulevard du Telemly, une voie importante de la capitale;
6. Bouakouir est sans doute un homme qui mérite la renommée et la carrière dont il a joui, du fait de ses dons intellectuels naturels et de sa forte personnalité;
7. Un des rares diplômés algériens de la prestigieuses école Polytechnique de Paris avant 1962, il a bénéficié d’un cursus honorum fondé sur la compétence technique et la neutralité politique ;
8. Bien que haut fonctionnaire colonial, il n’a ni renoncé à son statut d’indigène, ni pris des positions politiques publiques le plaçant du côté des partisans de la colonisation ;
9. Il semble bien, que, dans ses diverses activités, il ait tenu compte des intérêts à long terme du peuple algérien, et qu’il ait eu en vue la consolidation de l’indépendance de l’Algérie par des politiques économiques visant à la création d’un tissu industriel dans le pays ;
10. Bien que le plan de Constantine, dont il a été un des concepteurs, ait eu pour mobile le maintien du système colonial, Bouakouir l’a considéré comme un moyen de donner à l’Algérie indépendante une base économique saine ;
11. Il a été un collaborateur loyal et courageux du MALG dans l’action mené par cette institution non seulement pour collecter les informations nécessaires à la poursuite de la guerre, mais également aux négociations de paix, et créer une base de données de sympathisants algériens dans l’administration coloniale pouvant servir dans des actions collectives d’affaiblissement de l’emprise coloniale ;
12. Bouakouir a recruté un collaborateur important dans cette action, Abdelkader Barakrok, homme très proche alors des sommets de la hiérarchie politique française ;
13. Homme d’un grand courage physique, dont il a fait preuve non seulement dans ses actions clandestines au profit du GPRA, mais aussi et en particulier lors du putsch des généraux félons qui refusaient l’indépendance de l’Algérie, Bouakouir a payé de sa vie son action au service de la libération nationale ;
14. Il n’a pas besoin d’être réhabilité, car il a mené une vie honorable et conduit une carrière remarquable, aidé par ses dons intellectuels naturels et sa forte personnalité, dans un contexte politique et social particulièrement ambiguë, difficile et dangereux;
15. Peut-il être comparé, au vue de sa carrière et de son action, à des hommes comme Krim Belkacem, Boussouf, Ferhat Abbas, et d’autres encore ? Certainement pas.
16. Mais, il mérite une place d’honneur parmi les grands hommes qu’a produit ce pays, même si sa carrière administrative s’est totalement déroulée sous la férule coloniale.
Mourad Benachenhou
Paru sur le Quotidien d'Oran des 20 et 22/12/2010