L'ex-directeur général de l'Agence de l'énergie atomique et Prix Nobel de la Paix 2005, Mohamed ElBaradei, a ouvertement réclamé le départ du président égyptien Hosni Moubarak, jeudi, à quelques heures de son retour au pays.
« Il sert le pays depuis 30 ans et il est temps qu'il se retire », a déclaré ElBaradei à l'agence de presse Reuters peu avant de quitter Vienne à destination du Caire, où il compte prendre part à une manifestation d'envergure annoncée pour vendredi, après la prière dans les mosquées.
« Je serai avec les manifestants », ajoute l'homme de 68 ans, en précisant qu'il n'entend pas prendre la tête de ces manifestations, qu'il souhaite pacifiques. Il reconnaît cependant qu'il veut jouer un rôle en faveur du changement politique en Égypte.
Dans une entrevue subséquente à l'Agence France-Presse, ElBaradei n'a cependant pas caché qu'il est « prêt à mener la transition », si la population lui demandait.
ElBaradei sera de retour au pays au moment où des milliers d'Égyptiens continuent de défier la dictature du président Hosni Moubarak dans les rues du pays, malgré la violente répression exercée par les forces de l'ordre. Ces manifestations sont sans précédent.
Dans la capitale, Le Caire, la nuit de mercredi à jeudi a été ponctuée d'accrochages entre policiers et manifestants. Ces derniers sont le plus souvent des jeunes dénonçant la cherté de la vie, le chômage chronique et l'autoritarisme du régime, en place depuis 30 ans. Les deux groupes jouent en quelque sorte au jeu du chat et de la souris.
Les manifestations ne sont pas organisées par les Frères musulmans, le parti islamiste interdit qui fait le plus souvent les frais de la répression du régime. Ce dernier a cependant fait savoir jeudi qu'il appuie le mouvement.
« Nous ne sommes pas derrière ce mouvement, mais nous avançons avec lui », a déclaré à Associated Press un des leaders, Mohamed Mursi. « Nous ne souhaitons pas le diriger, mais nous voulons en faire partie ».
ElBaradei, possible candidat à la présidentielle
M. ElBaradei, qui a déjà manifesté son intérêt à briguer la présidence égyptienne, multiplie les déclarations depuis quelques heures. Sur Twitter, il a écrit : « Nous allons continuer à exercer notre droit à manifester pacifiquement pour retrouver notre liberté et notre dignité. La violence du régime va se retourner contre lui ».
Dans une entrevue accordée cette semaine au magazine allemand Der Spiegel , ElBaradei a aussi directement fait référence à la « Révolution du jasmin » tunisienne, qui a entraîné la chute du président Ben Ali. « Si les Tunisiens l'ont fait, les Égyptiens devraient y arriver », a-t-il déclaré.
Au site Internet The Daily Beast , il a déclaré : « Je retourne au Caire, dans les rues, parce qu'il n'y a vraiment pas d'autres choix. Vous allez dans les rues avec cette masse de gens et vous espérez que les choses ne vont pas mal virer, mais jusqu'ici, le régime ne semble pas avoir compris le message ».
Mohamed ElBaradei s'est déjà montré intéressé à briguer la présidence, mais a changé d'idée après les élections législatives de novembre, remportées haut la main par le Parti national démocrate du président Moubarak.
Les élections ont été marquées par des épisodes de violence, l'arrestation d'opposants, et diverses irrégularités dans les bureaux de vote. ElBaradei a dit peu après qu'il ne se présenterait pas à la présidentielle, à moins que la Constitution ne soit amendée.
La popularité d'ElBaradei auprès de la population est incertaine. Sa présence attirera assurément l'attention des médias du monde entier, et ses déclarations seront scrutées avec attention, mais plusieurs militants égyptiens l'accusent de passer plus de temps à l'extérieur du pays qu'à l'intérieur.
Le président Moubarak, âgé de 82 ans, n'a toujours pas officiellement annoncé s'il sera candidat à sa succession. Une note diplomatique américaine récemment révélée par WikiLeaks montre que l'ambassadrice au Caire croit qu'il ne s'agit que d'une formalité.
Dans cette note envoyée en mai 2009 à la secrétaire d'État américaine Hillary Clinton, l'ambassadrice Margaret Scobey soutient que si cette prédiction se réalise, le président égyptien va « inévitablement » remporter le scrutin, qui ne sera ni juste ni équitable.
Le scénario le plus probable, avançait-elle, est que M. Moubarak meurt en fonction.
De passage à Rabat, au Maroc, le premier ministre du Canada Stephen Harper a dit suivre avec « beaucoup d'attention les développements » en Égypte. « Nous encourageons le respect et le développement de la démocratie là-bas, mais d'une façon pacifique et non violente. C'est important aussi », a dit M. Harper.
Violente répression
Le mouvement populaire égyptien, vraisemblablement inspiré par la révolte du peuple tunisien, a été durement réprimé mercredi, la police utilisant des gaz lacrymogènes, des canons à eau et des matraques pour mater les dissidents. Les rassemblements politiques sont officiellement interdits.
Depuis que le mouvement est apparu au grand jour, mardi, quatre manifestants et deux policiers ont été tués, et des dizaines d'autres blessés. Quelque 860 personnes ont été officiellement arrêtées, mais un regroupement indépendant d'avocats avance plutôt le chiffre de 1200.
Les mouvements qui alimentent la contestation sur les réseaux sociaux Facebook et Twitter ne désarment pas pour autant. Ils en appellent maintenant à une manifestation d'envergure vendredi, après la prière.
Les troubles secouent le monde financier égyptien. La Bourse du Caire a rouvert en fin d'avant-midi, après avoir été fermée quelques heures. Les transactions avaient été interrompues après une chute de 6,2 % en début de journée. Peu avant-midi, la dégringolade de l'indice EGX 30 était de l'ordre de 9 %. La Bourse du Caire a enregistré une baisse de 6 % mercredi.
Radio-Canada avec AFP, Reuters, Al-Jazira