Mouloud Mammeri de “la Colline oubliée”
L’œuvre romanesque de Mouloud Mammeri est une courbe ascendante décrivant les différents paliers suivant lesquels il note l’évolution des événements qui se sont imposés à la société algérienne, mais aussi il observe sa prise de conscience politique mûrissante. Les paliers chevauchent à la fois sur la période coloniale, celle de l’indépendance et ses lendemains qui ont déchanté. Le premier roman : la Colline oubliée, publié en 1952, est la description d’un profond bouleversement d’une société aux prises avec elle-même. Elle est d’abord surprise par l’émergence d’un conflit de génération qui s’installe entre les vieux sages du village de Tasga et les premiers jeunes maintenant instruits à l’école coloniale et qui remettent en cause un ordre établi qu’ils considèrent archaïque. Il y a aussi la survenance de la guerre mondiale perçue dans ses premières années, par certains d’entre eux, comme la fin de leur misère. Une grande place est également réservée à la femme en tant qu’élément à part entière dans la société. Le second : le Sommeil du juste, que Mammeri publie en 1955, rapporte la fin d’un rêve, d’une utopie, celle de voir le colonisateur aligner les siens sur les mêmes droits. Mais la frontière est volontairement indémontable par les ultras qui imposent deux collèges, celui des Français au-dessus de celui des Imann, c'est-à-dire les indigènes, musulmans, Algériens, non-naturalisés. Aussi, Arezki Aït Wandlous, le personnage central du roman, n’hésite pas à le faire savoir à son ancien professeur à l’école normale de Bouzaréah, M. Poiré, dans une longue lettre. Le “j’accuse”, Arezki l’écrit sur l’ardent et le vif de cette langue par laquelle le mensonge du triptyque Liberté-Égalité-Fraternité lui a été enseigné. C’est alors la fin des dernières illusions. Le troisième roman : l’Opium et le bâton, publié en 1965, décrit l’engagement de tout un peuple pour recouvrer son indépendance alors devenue seule issue à sa condition après toutes les tentatives d’une juste vie pour tous. Mais des années après la grande victoire, Mammeri constate une autre forme de désillusion. Celle-là encore plus effroyable que la précédente, car elle va déformer et farder dans son intérieur la société algérienne. L’œuvre : la Traversée, livrée en 1982, traite de ce désappointement des siens, bien après l’indépendance. Les Algériens maintenant libres ne sont pourtant plus des Imann, mais de simples individus trompés, abusés et désabusés par un diabolique plan de dépersonnalisation idéologique œuvre des lèche-bottes de l’Orient qui feront du peuple des moins que des Imann… hélas ! C’est encore une vérité actuelle vérifiable au quotidien.
Par : Abdennour Abdesselam