“Vérité, mon beau souci !”
La poésie kabyle a toujours eu comme une de ses préoccupations majeures la recherche de la Vérité dans sa double manifestation ontologique et pratique. La chanson, qui est le prolongement naturel de cette poésie, reprend à son compte ce patrimoine de réflexion et d’interrogation pour lui donner les contours et la substance de la nouvelle société souvent forgée dans l’adversité.
Le thème de la vérité et des interrogations qui lui sont subséquentes ne doit pas nous mener à des ratiocinations sur la marche du monde. L’être malmené par la vie, soumis à des pressions intolérables et régenté par un ordre inique, se pose des questions pour comprendre ce qui lui arrive.
Nos poètes et chansonniers ont reflété fidèlement ces inquiétudes et ces gémissements de la société et leur ont donné une esthétique et une éthique remarquables qui les situent dans la grande agora de la détresse humaine et des espoirs de l’humanité.
Il est vrai que le dictionnaire résume la "vérité" en quelques mots. Il dit, par exemple, que la vérité est ce qui est conforme à ce qui est(ou ce qu’il y a). Mais, est-on toujours sûr et d’accord sur ce qu’il y a ? Là surgit le problème de la relation du sujet à l’objet et qui se pose presque toujours en termes d’objectivité /subjectivité, si ce n’est d’aporie fatale. De là découlera un jugement qui sera appelé vérité ou mensonge. Même si la vérité est Une, l’art et la manière de la dire varient selon l’auteur et les circonstances dans lesquelles il s’exprime. L’histoire de la chanson kabyle fait partie de la grande épopée de la tradition orale propre à toute l’aire géographique berbère constituée d’un patrimoine littéraire ineffable. C’est aussi l’histoire d’un peuple qui a perdu l’usage de la graphie depuis à peu près la fin de l’antiquité. Et il est de notoriété qu’un peuple qui s’écarte peu à peu de la graphie, fait appel de plus en plus à l’oralité.
Cependant, il est maintenant établi que l’oralité avait merveilleusement coexisté avec l’écriture dans l’ancien monde berbère. Les recherches en ethnomusicologie menées par Taous Amrouche en Espagne ont conclu à l’origine nord-africaine des chants grégoriens de l’église sud-européenne.
En tout état de cause, la chanson berbère en général et la chanson kabyle en particulier ont su tirer les éléments culturels et la quintessence des civilisations qui sont passées par notre pays pour en faire de nouveaux éléments fécondants d’une esthétique de plus en plus humaine.
Vérité et mensonge : nœud de vipères
Comme dans les sciences empiriques où le doute méthodique sert à annihiler les préjugés inhibiteurs et les idées préconçues, le questionnement sur la vérité tel que pris en charge par la chanson kabyle prend l’aspect de la remise en cause des certitudes établies, de lézardes dans les murs du dogme et d’appel à la démystification et la dénonciation d’une situation oppressante. Instrument littéraire par excellence, la chanson kabyle à texte a servi et sert toujours de réceptacle aux inquiétudes et aux revendications de la société. Aussi, le thème de la Vérité se trouve-t-il récurrent tel un leitmotiv dans un grand nombre de textes anciens ou récents.
Amar Naït Messaoud