Il y a une volonté certaine et persistante de communiquer aux générations futures l’histoire de celui qui fut non seulement le bâtisseur de l’État algérien moderne, mais également celui qui fut à l’origine du concept de l’identité algérienne.
Placé sous l’égide du président de la République, le colloque sur “l’Émir Abdelkader et le droit international humanitaire” était à la mesure de l’événement en drainant une assistance fort nombreuse parmi laquelle des professeurs, chercheurs, auteurs, mais aussi d’éminents spécialistes du droit international humanitaire, de la pensée religieuse et de la vie de l’Émir Abdelkader et autres intellectuels issus des milieux académiques, diplomatiques, humanitaires, étatiques et religieux de plusieurs pays dont, en sus de l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, la Suisse, la France, le Royaume-Uni, à telle enseigne que la salle de conférences du cercle de l’ANP de Béni Messous affichait complet bien avant l’ouverture de la manifestation.
Dans une rétrospective, le président du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), Peter Maure, rappelle la convergence d’idée de deux hommes que sont l’Émir Abdelkader et Henry Dunant sur le droit au bon traitement des prisonniers, une idée qui constituera un principe fondamental du droit international humanitaire. À l’instar de ses activités dans le monde, le CICR était présent en Algérie où durant la guerre de Libération, il a rendu visite aux moudjahidine faits prisonniers dans 490 centres de détention et 96 en France. Comme il a rappelé le rôle important joué par l’Algérie à la Convention de Genève.
Déclarant le colloque officiellement ouvert, le ministre de la Justice, garde des Sceaux, Mohamed Charfi, qui a salué l’initiative d’organiser ce colloque en un partenariat “inédit entre un organisme international, le CICR, une institution nationale de droit privé, la Fondation Émir-Abdelkader, et des institutions publiques nationales, les ministères de la Défense nationale et de la Justice, ce qui en soi est significatif de l’intérêt porté à notre encontre et qui sied au grand homme”, a souligné que parler de l’Émir Abdelkader, c’est d’abord “interpeller l’Histoire dans sa complexité factuelle, oser une immersion dans les abysses des rapports antagoniques qui sous-tendent la gouvernance des États et leurs rapports avec les autres États, parler de ce souverain des temps modernes, enfanté par l’Algérie fière, austère et résistante éternelle à toutes les agressions”.
Cependant, ce qui est plus important dans le legs laissé par l’Émir, c’est cet engouement qu’il avait pour le droit positif humanitaire concrétisé par le fameux décret de 1843.
“Dans ce décret, il est expressément disposé que tout soldat de l’Émir ayant un prisonnier français ou chrétien en sa possession est tenu pour responsable de la façon dont il est traité. Il est, en outre, sous peine de la sanction la plus sévère, tenu de conduire sans délai le prisonnier, soit au khalifa le plus proche, soit devant l’Émir lui-même. Au cas où le prisonnier se plaindrait du plus léger des sévices, le soldat qui l’a capturé perdrait tout droit à la récompense”, explique le ministre en s’interrogeant si “les soldats de l’armée d’agression étaient ou pas destinataires dans le même temps de prescriptions similaires émanant de leur hiérarchie”. En fait, le décret de l’Émir, même si la primeur lui a été “volée” par la Convention de Paris de 1857, il n’en demeure pas moins que l’Histoire retiendra qu’il reste une référence, reconnue d’ailleurs par Henry Dunant “dont l’Algérie s’honore de l’attachement qu’il lui vouait, lui le meunier de Sétif”, ainsi que par l’autre humaniste, Solferino, pour ceux qui ont toujours milité pour le droit humanitaire. Quoi qu’il en soit, “les faits sont têtus et les règles pour lesquelles a milité Henry Dunant, dont l’action militante a été le déclencheur du mouvement humanitaire international, ont été par une conjonction de l’histoire, pour l’essentiel, consacrées par le décret de 1843 de l’Émir Abdelkader, telle l’affirmation de la responsabilité de la puissance détentrice des prisonniers consacrée en 1949 par l’article 12 de la troisième Convention de Genève”, rappelle le ministre.
Tour à tour, les intervenants, à l’exemple de la secrétaire générale de la Fondation Émir-Abdelkader, Zohour Boutaleb, ou du Pr Mustapha Chérif, ont axé leurs interventions sur le travail fait par l’Émir Abdelkader.
Précurseur du droit humanitaire sur son propre territoire, l’Émir Abdelkader le fut tout autant en terre d’exil puisque, en prenant position dans le domaine de la protection des minorités, il a pu sauver des milliers de chrétiens du massacre. Ce fait historique lui valut d’ailleurs la reconnaissance des souverains chrétiens de l’époque et notamment celle du pape Pie IX qui lui décerna une distinction de l’ordre papal.
Quant à la conception qu’avait l’Émir Abdelkader de l’État, un des conférenciers dira que ce dernier voulait avant tout libérer son pays et le rendre matériellement et surtout intellectuellement indépendant. Son but c’était une Algérie puissante, moderne. En somme, un pays sans discrimination et ouvert sur le monde. L’exemple nous vient d’ailleurs de la constitution de sa société qui comptait des adeptes d’autres religions.
À noter que ce colloque de trois jours verra la participation et l’intervention de plusieurs personnalités comme le Pr Mohamed-Chérif Gaher, président du conseil scientifique du Haut-Conseil islamique, du représentant du CICR à Tunis, de l’Archevêque d’Alger, Monseigneur Henri Teissier, de l’ambassadeur de Suisse en Algérie, Nicolas Lang, ainsi que d’autres conférenciers de différentes nationalités.
Par : Ali Farès