AMAR BENADOUDA.MÉDECIN, ANCIEN PRÉSIDENT DE LA FAF, MAIRE DE GUENZET
Par Hamid Tahri
Le fait que l’homme distingue le bien du mal prouve sa supériorité intellectuelle par rapport à toute autre créature. Mais le fait qu’il puisse mal agir prouve l’infériorité de son esprit.
Mark Twain
Les yeux qui pétillent et les cheveux blancs, la bouille ronde et la voix à peine audible. Ne dites surtout pas à ce presque octogénaire qu’il est expansif. Immanquablement, il rétorque qu’il n’est peut être pas timide, mais discret, et qu’il ne veut nullement s’exposer.
«Pourquoi faire ? Je vais mon chemin tranquillement, je fais mon devoir, je ne vois pas pourquoi je devrais susciter un quelconque intérêt», avance-t-il en guise d’introduction, nous mettant dans une gêne apparente qu’il dévisage facilement.
Pourquoi donc sommes-nous là, en ce jour pluvieux, dans ce vétuste cabinet où il a tant servi,
en tant que médecin, au cœur du quartier populaire de Belouizdad. C’est que Amar, personnage affable et courtois de par son parcours, a défrayé la chronique, même s’il s’échine à faire admettre qu’il a toujours vécu d’une manière cachée fuyant les mondanités et les distinctions. Il a été tour à tour militant, médecin, cadre de la santé, président de la FAF et actuellement maire de Guenzet à 78 ans. Amar Benadouda est né en 1931 à Harbil dans le
fier pays des Beni Yala. Son père Khalfa avait émigré jeune à Saint-Etienne en France où il était ouvrier. Il y est resté 3 ans avant de retourner au terroir et aux rudes tâches de la terre. Puis, il exercera au CFRA au début des années 1930, ce qui vaudra à la famille de résider à La Casbah puis à Belcourt rue Jules Sevry pas loin de Dar El Babor. «En facede chez nous, il y avait une école coranique que j’ai fréquentée dès l’âge de 5 ans sous la férule de cheikh Mohamed Benazouz, un gars de Laghouat qui savait, mieux que quiconque, nous faire apprendre les versets du saint Coran.» Par la suite, la famille dut déménager à la rue de Suez, puis se fixera à la rue Darwin.
UNE ENFANCE BELCOURTOISE
«Il y avait dans le quartier deux écoles dont l’une réservée exclusivement aux indigènes. J’ai eu la chance de me former dans l’autre, mais nous formions une bande de copains et jouions ensemble au foot. Je me souviens des Hamrour, Boukhalfa…» Le débarquement des alliés à Alger en novembre 1942 et la fermeture des écoles plongeront la ville dans une autre atmosphère décrite d’ailleurs par les chanteurs de l’époque : «Come on bye-bye.» Amar retourne au village où il apprendra toute la crasse et la cruauté de la misère, mais aussi… la langue kabyle. «C’était l’année du typhus et j’ai le souvenir sombre d’une période
tragique où la région a enregistré beaucoup de morts. Jeune, j’étais envahi par des sentiments ambivalents. Un sentiment de liberté dans ces contrées montagneuses, mais hélas aussi un sentiment d’abandon pour ces terres livrées à elles mêmes, rongées par la misère et par le désarroi des hommes et des femmes qui y vivaient mais qui restaient armés d’une foi inébranlable.
Le désir du savoir et de la connaissance a toujours été un credo partagé chez les Beni Yala.»
Après les affres de la guerre, Amar retourne à Alger pour poursuivre ses études classiques au lycée Gautier (Omar Racim). «J’étudiais le latin, le grec et la littérature, mais mon père voulait que je sois médecin. C’est ainsi que j’ai opté pour l’actuel lycée El Idrissi jusqu’au bac que j’obtins au début des années 1950.» Toubib, Amar y pense comme jamais, comme dirait l’autre, un métier bien appris vaut mieux qu’un gros héritage.
Amar tournera le dos à la faculté d’Alger «où il y avait beaucoup de comportements racistes» pour se rendre à Montpellier. Ce choix n’est pas fortuit : «D’abord, pour une question de climat presque similaire à celui d’Alger et aussi parce qu’il y avait dans cette ville des étudiants de Belcourt, des nationalistes comme Belhocine, Aïssiou Akli, Djennas, Aroua, des aînés qui étaient aussi des exemples pour nous. Enfin, Montpellier, c’était la deuxième université importante après Paris qui renfermait bon nombre d’Algériens.»
Amar y poursuivra ses études de 1952 jusqu’à la grève de mai 1956 qui mettra un terme à son cursus. Amar, militant engagé, retourne à Alger avant de rejoindre la Fédération de France du FLN et d’intégrer le bureau du parti et du GPRA à Madrid.
DES ÉTUDES ACHEVÉES À LAUSANNE
En 1961, Amar reprend ses études de médecine à l’université de Lausanne. Il en sortira avec son diplôme en poche en 1964. Il rentre au pays pour exercer son métier. «Personnellement, je m’étais engagé dans le secteur public en exerçant à la polyclinique de Belcourt jusqu’au 19 juin 1965 où l’administration, je ne sais pour quel motif, me muta à Blida. J’y suis parti. Mais tombé malade quelques jours après, je n’ai pu m’y rendre. On m’intima l’ordre de rejoindre mon poste au risque d’être sanctionné. Comme je ne pouvais me déplacer, je n’ai pas obtempéré et je suis resté sans activité pendant 7 mois. Une véritable galère. C’est
Tedjini Haddam, alors ministre de la Santé, qui m’a remis les pieds à l’étrier. Je suis retourné à la polyclinique de Belcourt avant d’être nommé directeur de l’Institut national de la santé publique. C’est là qu’on a commencé à développer les premiers programmes de santé publique. On s’est mobilisé pour lutter contre le paludisme, on dénombra pas moins de 50 000 cas chaque année. On a développé le programme de vaccination de nutrition, contre la tuberculose.
Lorsque le Dr Omar Boudjellab a pris les commandes du département ministériel, il m’a fait appel pour être directeur de la santé tout en poursuivant ma mission au sein de l’institut avec le même salaire, dois-je préciser.» Un grand chantier a été lancé avec Mme Laliam pour le planning familial, Mme Benallègue pour la pédiatrie, l’ophtalmologie avec M. Djennas
et toute l’école de chirurgie avec Mentouri, Ghalib… la médecine avec Illoul, Lebon, l’orthopédie avec Benhabyles, Brahimi, Ferrant, Mehdi… Les professeurs de médecine, mondialement connus à l’instar du Pr Carpentier, venaient donner des conférences à Alger.
La médecine gratuite slogan populiste ? «Je suis un pourfendeur des faux-semblants, mais l’idée était noble dans la mesure où il était question de faciliter l’accès aux soins pour le plus grand nombre de citoyens, notamment pour les démunis et les plus vulnérables. Certes, il y a eu des dérapages mais le secteur en a largement bénéficié, les Algériens aussi. De ce fait, je rends un vibrant hommage à tous ceux qui se sont mobilisés, souvent dans des conditions difficiles, pour sauvegarder la santé publique. On a dû batailler dur pour obtenir les crédits et atteindre les objectifs.»
Parallèlement au fait qu’il maniait le stéthoscope, Amar, pour ceux qui l’oublient, sait aussi taper du ballon. Il a même été président de la Fédération algérienne de football (1971-1974).
«C’est Abdallah Fadhel, alors ministre de la Jeunesse et des Sports, qui m’a fait appel. On a formé une équipe de rêve, des dirigeants de grande valeur tels que Abdoun, Miloud Brahimi, Kara Terki et d’autres, la plupart des cadres universitaires. On a mis au point un programme basé sur la formation. On avait embauché un coach, Makri qui a fait un travail formidable, découvreur de jeunes talents et entraîneur passionné par son métier.
Il avait déjà mis en avant le volet physique du football moderne.» «Un jour, les responsables du foot français sont venus chez nous. A l’époque, je leur avais signalé l’émergence des footballeurs africains qu’on voyait venir à grandes enjambées défier les autres grâce à leur technique mais aussi à leur physique. Deux aspects qui font aujourd’hui le foot moderne, l’histoire m’a donné raison puisque ces footballeurs aujourd’hui sont les ossatures
des plus grands clubs de la planète. Lorsque nous étions aux commandes du sport roi,
nous n’étions pas nantis en matière d’argent, d’équipement et d'infrastructure et le sport n’était pas une priorité pour un pays davantage occupé à se reconstruire. Malgré cela, des progrès tangibles avaient été enregistrés couronnés par la première consécration nationale aux Jeux méditerranéens de 1975. Je ne dis pas que nous en sommes les artisans, mais nous y avions participé…»
Le constat de la situation actuelle de notre football est loin d’être reluisant et Amar est le premier à s’en plaindre. Les mots sont posés un à un sur des charbons ardents.
ANCIEN PATRON DE LA FAF
Le sport algérien aujourd’hui d’une manière générale est comme un train brinquebalant serpentant dans des chemins indécis. «Vous n’avez qu’à voir les résultats plus que décevants,
pour vous en convaincre. Un club, c’est d’abord une école. L’intrusion de l’argent ? C’est
une réalité. Mais le bon professionnalisme, c’est de produire des richesses à travers le sport et s’autofinancer avec. Regardez le Real ou le Barça, ce sont de véritables entreprises. Elles se financent par les socios, par la pub, par les sponsors, mais aussi et surtout par le spectacle produit. Cela ne les empêche pas d’avoir des écoles florissantes. Ici, on ne produit rien, pas même le spectacle. Il y a un problème d’encadrement. Le foot est devenu une science qui fait appel à la technologie, à la pédagogie, à la psychologie à l’anatomie, à la diététique,
aux techniques de préparation avérées. Nos encadreurs ont-ils toutes ces qualités ? Ne parlons pas des joueurs qui sont loin d’être des exemples sur le terrain et qui sont souvent à la base de la violence constatée et qui n’a aucun sens.»
Depuis plus d’une année, Amar s’est retiré dans son village à Timengache où sa retraite a été bousculée par son élection à la tête de la mairie de Guenzet. «Les gens sont venus me voir et m’ont sollicité pour ce poste, car je suis un homme de consensus. Je suis parti avec des idées simples, un maire ne défend pas son parti mais ses administrés et sa localité. » Amar a la tâche difficile dans une région difficile pour ne pas dire hostile, en considérant la configuration géographique. «Il faut y croire et je me suis promis d’en faire une petite Suisse. Vous savez, dans les zones rurales isolées et dans la conscience collective, le maire, c’est l’Etat, et on n’a pas le droit de décevoir, en améliorant constamment les conditions des citoyens. Les élus doivent répondre à des attentes parfois urgentes. La loi n’est pas toujours adaptée. Il faut que les gens aient confiance en eux-mêmes. Il faut stabiliser l’exode et faire en sorte que la région ne soit pas éternellement le creuset d’hommes toujours en partance ailleurs.
Tenez, par exemple, le barrage de Bouhamza a ouvert des perspectives prometteuses.
Les gens reviennent progressivement à la figue et à l’olivier. Il faut un développement d’économie durable qui puisse pérenniser les efforts pour la reconstruction des villages fatigués, délaissés et au bord de l’effondrement.
Vous savez, il y a toujours des esprits chagrins pour critiquer à tout-va. Mais il faut prendre les choses dans leur plein alors qu’on les prend trop souvent dans leur vide». C’est un peu l’histoire du verre qu’on apprécie, selon qu’il soit à moitié plein ou à demi vide.
A 78 ans, Amar garde l'enthousiasme juvénile et une énergie remarquable.
Né à Harbil en 1931, il a vécu à Belcourt, a fait des études à Montpellier qu’il a arrêtées lors de la lutte de Libération. A la veille de l’indépendance, il a gagné Lausanne où il a achevé ses études. Médecin à Belcourt, cadre de la santé,
président de la FAF et actuellement maire de Guenzet pour laquelle il rêve de grands projets.
Il aime à répéter avec humour qu’il ne faut plus se contenter de tikerbabine et de chlita et qu’il est impérieux de développer cette région délaissée, en axant sur l’aménagement des routes, en mettant à la disposition de la population toutes les conditions inhérentes à une vie décente (eau, électricité, transport, scolarité des enfants, sports loisirs…) Un vaste programme en perspective…
EL WATAN DU 22/01/2009
. H. T.
htahri@elwatan.com