Qui se souvient de Slimane Azem?
Son succès, il l’avait bâti loin des feux de la rampe et des cercles officiels. Il avait choisi l’exil pour s’exprimer.
Il est définitivement parti le 28 janvier 1983. Avant cela, le départ pouvait avoir une fin car c’était celui de l’exil. Sa disparition a laissé un vide sur la scène artistique que nul ne pouvait combler parce que l’oeuvre de Slimane Azem avait un cachet très distingué. C’était un artiste totalement indépendant qui a pu conquérir le coeur de ses fans, sans bénéficier d’une quelconque médiatisation. Avant 1988, sa voix, tout comme celle de Matoub Lounès, était interdite d’antenne à la Radio nationale. Son nom a été ajouté au stylo à la liste des artistes «indésirables» à la Chaîne II par un autre chanteur kabyle de sa génération, qui avait du mal à accepter la vénération que vouait le public à Slimane Azem malgré la censure et les campagnes de dénigrement.
Le succès de Slimane Azem, qui s’est bâti loin des feux de la rampe et en dehors des cercles officiels qui préfabriquaient les artistes de service, est phénoménal. Jamais un chanteur de langue kabyle n’avait atteint une telle dimension avant lui. Il était un mythe vivant. Pourtant, à l’époque ce n’était pas une sinécure de pouvoir s’arracher une place au soleil sans l’appui des médias, particulièrement les radios. Slimane Azem a réussi cet exploit. Il ne vivait même pas en Algérie mais ses chansons étaient de véritables bouffées d’oxygène dans un pays où l’unanimisme et le conformisme étaient des constantes. Ce n’est donc pas un hasard si Slimane Azem est présenté aujourd’hui comme étant le maître de la chanson kabyle, auquel des hommages dignes de ce nom ont été rendus par plusieurs artistes de la génération lui ayant succédé. Dans son livre, Slimane Azem, le poète, le Dr Youcef Nacib écrit que Slimane Azem est l’un des plus grands poètes algériens du XXe siècle: «Le plus grand poète d’expression amazighe, du moins le plus connu et le plus ancien après Si M’hand.»
La chose qui a le plus marqué l’oeuvre et la vie de Slimane Azem est incontestablement l’exil. Le poète a beaucoup souffert d’être privé de sa patrie, de sa terre natale et des siens. Sa poésie est d’ailleurs bâtie autour de ce thème. Selon Youcef Nacib, l’exil est non seulement le cadre initial de sa chanson, mais le thème majeur de sa poésie. S’ajoute dans son cas singulier, à l’exil partagé avec des milliers d’ouvriers, la douleur de son propre destin. L’une des chansons les plus connues traitant de ce thème est incontestablement A Muh, a Muh. A ceux qui l’accusaient de ne pas aimer son pays, Slimane Azem a chanté «Mon pays bien aimé, que j’ai quitté contre mon gré, ce n’est pas moi qui ai opté, mais ma chance et mon destin, je suis en terre étrangère, et ton image me harcèle».
Tout comme les grands poètes de Kabylie, Si M’hand Ou M’hand, Lounès Matoub ou Youcef ou Kaci, Slimane Azem a également souffert du mal de la déshérence. Il est décédé sans laisser d’héritier. C’est une vie injuste qu’il a menée car il s’est retrouvé, à cause d’un contexte qu’il n’avait pas choisi, dans une situation inconfortable. Mais ce sont peut-être toutes ces malchances qui ont permis à sa poésie d’éclore.
La poésie de Slimane Azem est empreinte de nostalgie. Il a regretté avec chagrin, dans ses textes, le temps qui ne reviendra pas: «Oh! Si M’hand, si tu pouvais revenir, tu verrais ce piteux siècle, et tu aurais pitié des gens qui pleurent, tu nous chanterais le monde passé, la vie telle qu’elle est, et toute chose à venir, le legs que nos parents nous ont transmis, avec tant de soin et d’honneur, la nouvelle génération l’oublie.» Un texte prémonitoire. Car la nouvelle génération semble avoir oublié Slimane Azem et son oeuvre pourtant immense. Rien que dans son livre, Youcef Nacib a traduit plus de 150 poèmes. Aujourd’hui, n’écoutent encore ses chansons que l’ancienne génération. Peut-être que la Kabylie, et l’Algérie, lesquelles a chanté Slimane Azem, n’existent plus. Leurs valeurs ont également disparu. Et les poètes comme Slimane Azem sont justement faits pour rappeler à ceux qui veulent savoir ce qu’était le temps à l’époque de leurs parents.
Aomar MOHELLEBI