La parole donnée
Ceux qui ont eu l’occasion de visiter certaines églises ou cathédrales chrétiennes ont pu remarquer, plaqués contre les murs, des ornements portant le nom du généreux donateur. Ce sont en général des ex-voto offerts par des croyants en reconnaissance d’un voeu exaucé par le saint tutélaire du lieu. Dans certains endroits du Maghreb, il n’est pas rare de voir de tels gestes de reconnaissance. Cela se traduit par des ravalements de façade, la restauration même du mausolée du marabout qui, croit-on, est capable d’intercéder auprès de la divine Providence pour résoudre un problème ou réduire l’adversité au bénéfice d’un fidèle qui ira même à se fendre d’une ouaâda qui restera longtemps dans la mémoire du village. Car, que ce soit à la campagne ou dans les temps passés, avant que le matérialisme ne cause des dégâts irréparables, les gens pieux sont fidèles à la parole donnée, que ce soit vis-à-vis des saints ou vis-à-vis de leurs concitoyens. Il est notoire que c’est dans les actes de succession ou dans les rapports commerciaux que se vérifie cette fidélité à la parole donnée. Il n’est pas rare qu’à l’occasion du décès d’un chef de famille, de voir un de ses proches faire le serment de protéger la veuve et les orphelins. Tout comme il est courant, au cours de la conclusion d’un marché, que les deux parties s’accordent oralement à respecter les termes de leur marché: il n’était nul besoin d’avoir recours à un acte notarié. Un témoin, au plus, fera l’affaire. Il faut dire qu’à la fin du XIXe siècle, le pays était dans une situation économique déplorable. Les nombreux marchés répartis à travers la Kabylie, selon les jours de semaine (d’ailleurs, les noms des jours seront adjoints à la toponymie des lieux où se déroule le marché: Tizi Ouzou devient Sebt, Saharidj devient Djemaâ, Fort-National Larbaâ, les Aghribs Lethnayen...) offraient un choix réduit de produits de l’artisanat. On raconte qu’un forgeron, qui avait vendu à crédit sa marchandise à un client d’une lointaine commune, ne put récupérer l’argent promis à la date indiquée. Le forgeron alla sillonner tous les marchés et contacta tous les commerçants et artisans qui se connaissaient tous en ces temps où la population était réduite. L’acheteur indélicat, identifié, fut boycotté et mis en quarantaine par tous les acteurs économiques de la région. Il finit par venir s’excuser auprès du forgeron en le dédommageant d’une manière conséquente. En ce temps-là, on ne plaisantait pas avec la parole donnée. Qui ne se souvient de ce film sublime dont le titre La parole donnée résume à lui seul le scénario? Un paysan, pour tenir sa promesse, va faire un pèlerinage à genoux avec une lourde pierre sur la tête. C’est souvent par crainte d’une justice immanente que certains respectent la parole donnée. Ce n’est pas, hélas, le cas de certains hommes politiques qui promettent monts et merveilles lors des campagnes électorales et qui oublient tout, une fois leur but atteint. Le 4 février 2009, une étrange cérémonie fut organisée par les ouvriers métallurgistes de l’usine Mittal de Grandrange (France): ils ont apposé à l’entrée de l’usine, menacée prochainement de fermeture, une plaque funéraire où étaient portés ces mots: «Ici reposent les promesses faites par Nicolas Sarkozy un 04/02/2008.» C’est pour rappeler le passage enthousiaste d’un président encore sous l’empire d’une lune de miel dorée, et qui avait promis qu’il repasserait dans une année avec une solution dans la poche pour l’usine en difficulté. Résultat des courses: une année après, Sarkozy n’est pas venu et le patron indien fermera prochainement l’usine. Comme l’a dit un célèbre homme d’esprit, les hommes politiques qui ne tiennent pas leurs promesses devraient être poursuivis en justice, comme pour l’émission d’un chèque sans provision.
L'expression