KABYLIE
Vacances au pays des ancêtres
Les mères des jeunes émigrés en âge de se marier
usent de toute leur diplomatie pour dénicher cette belle-fille
obéissante et de bonne famille. Elles profitent de toutes les fêtes où
elles sont invitées pour sélectionner la fée disposée à devenir femme
au foyer en France.
C’est l’été, c’est le début des vacances. A
l’aéroport d’Alger, le quai des arrivées prend sa revanche sur son
rival de toute l’année, celui des départs. La communauté algérienne
résidant à l’étranger, afflue vers le parking à quelques centaines de
mètres. Des proches de tous âges se précipitent vers la sortie de
l’aéroport Houari-Boumediène. Ils ont hâte d’arriver là-haut, dans les
villages des hautes montagnes de Kabylie qui n’a rien à envier à ces
régions touristiques européennes. Malgré l’idée qu’ils se sont faite
sur le manque de moyens, peu leur importe, la nostalgie pour certains
et la curiosité pour les plus jeunes sont plus forts que les racontars
des vieux ou de la presse.
Les taxis, à l’extérieur de l’aéroport,
profitent de cette embellie de travail à profusion. Les familles
s’impatientent de voir la voiture avaler les kilomètres d’autoroute,
qui les séparent du début des côtes qui serpentent de Naciria. Les
montagnes apparaissent à partir de là. Quel frémissement à leur
première vue! C’est bon, ça y est, c’est le bled des ancêtres. Au
village, les gens sont pressés de voir «
les émigrés» qui sont arrivés la veille. Certains les connaissent, d’autres pas.
Dans
le pays qui les a vu naître et partir, les gens n’ont pas la même idée
des émigrés que celle qu’on a dans les pays d’accueil. C’est au début
du XXe siècle que des vagues importantes de jeunes sont parties au-delà
des mers pour travailler et subvenir aux besoins de leurs familles «
nombreuses»
restées au bled. Ceux-là qui sont partis pendant les années 20 et 30
sont maintenant vieux et en retraite, ils ont les mêmes mentalités, les
mêmes façons de voir et de penser que ceux qui sont restés au pays.
Leurs habitudes vestimentaires ne diffèrent en rien et leur façon de
parler reste pareille à celle de leurs concitoyens qui n’ont pas
immigré. Ces vieux fortunés passent la moitié de l’année dans leur pays
et l’autre dans des chambres d’hôtel qu’ils louent en continu dans
l’Hexagone. Ils vivent de leur retraite ici au bled. Leurs familles
vivent de cet argent qui se fructifie au gré des péripéties du cours de
la monnaie nationale.
Les années 40 et 50 ne font pas exception.
Bien au contraire, le nombre des partants est nettement plus important.
La région de Kabylie a connu un véritable exode. Une génération est
partie rejoindre une autre, essentiellement en France. En ces temps de
misère et de guerre, les montagnards étaient d’une pauvreté
indescriptible. «
Avant de partir en France rejoindre mon oncle,
raconte Dda Ahmed, nous consommions le couscous tiré de la farine de
gland et non de blé. Nous n’avions que la végétation qui poussait dans
la montagne», continue-t-il se remémorant ces temps de disette qui
l’ont poussé à l’exil. Cette génération forgée dans l’indigence, n’a
rien perdu de son caractère de montagnard kabyle. Pendant leur séjour
au pays, ils passent leur temps, comme leurs parents d’antan, à élaguer
les oliviers, les figuiers et à drainer les ruisseaux dans leurs
champs. Après les travaux, Da Ahmed passe ses soirées au café du
village où, sirotant une boisson gazeuse, il joue aux dominos.
Vers
la fin des années 70, à la faveur de la loi autorisant le regroupement
familial, cette première catégorie s’installera, dans la durée, en
France, en y emmenant femmes et enfants. Ce sont ces enfants, qui
grandiront, pour leur écrasante majorité, dans les habitations à loyer
modéré, qui marqueront la différence.
A partir de cette génération,
les émigrés qui venaient passer les vacances au bled, diffèrent dans la
façon de penser, de s’habiller et de concevoir les choses par rapport à
leurs cousins, amis, oncles, frères et autres restés au pays. Leur
enfance et leur jeunesse sont forgées dans ce milieu de l’émigration
avec les voisins. Ce sont généralement des Marocains, des Tunisiens ou
des Turcs. Cette génération d’émigrés, une fois au bled, a d’autres
préoccupations et d’autres intérêts. Arrivés à l’aéroport
Houari-Boumediene ou au port d’Alger, destination la Kabylie pour
d’autres découvertes, d’autres attraits et d’autres façons de passer
les vacances au bled de leurs parents.
Vive les filles du bled!Loin
ces temps-là où l’émigré ramenait dans ses valises des vêtements pour
toute la famille. Il est loin le temps où le fils parti gagner sa vie
et faire vivre la famille revenait avec de l’argent dans les poches
qu’il remettait au père. Le temps, à présent, est à autre chose. Les
émigrés, arrivés dans le village, ne connaissant que de rares
personnes, s’en vont vers les plages. Ils aiment surtout découvrir
d’autres régions du pays. Mouloud, vivant à Amiens en Picardie, nous
dira qu’il préfère passer ses vacances, non dans son village mais à
Béjaïa. Cependant, le phénomène le plus important qui fait son
apparition ces dernières années, est d’une tout autre nature. La
recherche de l’âme soeur. Comme les jeunes Algériens du bled, ceux qui
viennent en vacances montrent un intérêt marqué pour les filles du
bled. Nous avons voulu comprendre ce phénomène; alors, nous nous sommes
rapprochés de certains jeunes émigrés qui sont arrivés au bled. À ce
sujet, Karim, un jeune, travaillant dans un restaurant dans la ville de
Tizi Ouzou se montrera excité à l’idée de pouvoir «
aguicher» une «
émigrée» de nationalité française. «
Mon but, cet été, est de me trouver une émigrée de nationalité française ou la double nationalité.»
Pour cela, nous indiquera-t-il, les vacances aux plages de Tigzirt ou
Azefoun sont une aubaine. Un autre vendeur de CD-ROM à la sauvette sur
la route du stade du 1er-Novembre nous racontera son histoire. «
C’est à l’occasion d’une fête de mariage, dans notre village, que j’ai réussi à avoir une belle fille à double nationalité.» II dira, tout excité, qu’il l’attend pour cet été.
En
été donc, beaucoup de jeunes vont sur les plages de la côte kabyle,
dans l’unique but de faire la chasse aux émigrées. L’espoir de trouver
un moyen de s’installer dans l’Hexagone fait marcher un grand nombre de
jeunes chômeurs, voire de diplômés des universités. Dans tous les
villages de la région, les histoires de ceux qui se sont installés en
France par des mariages font légende.
Mais, paradoxalement, il n’y a
pas que la chasse aux émigrées binationales. Inversement, un phénomène
nouveau prend, à une vitesse vertigineuse, de l’ampleur. Les jeunes
émigrés, nés ou ayant grandi en France, se marient de plus en plus avec
des Algériennes vivant dans le bled.
Venus d’un pays où la liberté
de choisir et de connaître son partenaire n’a pas de limites, beaucoup
de ces jeunes émigrés qui ont fait leurs études dans les lycées et les
universités françaises font la chasse aux filles du bled. Pour
comprendre ce phénomène pour le moins paradoxal, nous avons approché
cette catégorie dans les villages.
Youcef, vivant dans la banlieue
parisienne, en vacances au bled, préfère les filles du pays pour leur
fidélité. Il dira, à ce propos, que les gens qui se sont mariés avec
des filles d’ici (du bled) ont tous ou presque réussi leurs mariages. «
Je connais des gens qui se sont mariés, depuis longtemps et ils n’ont pas divorcé», affirme-t-il pour se convaincre.
Un autre phénomène est venu cependant se greffer au précédent. Il y a une religiosité plus «
accentuée»
chez cette génération d’émigrés. Ceux-là ne cherchent pas une épouse
dans les plages, mais visent plutôt les filles sans emploi et qui ne
voient pas d’inconvénient à devenir femmes au foyer dans l’Hexagone.
Kheider, jeune célibataire, vivant à Amiens, en Picardie, nous dira que
c’est un péché d’épouser une fille qui ne porte pas le voile islamique.
«
Je veux me marier avec une fille du bled, mais elle devra porter le voile, une fois en France»,
dira-t-il, fermement. Les mariages arrangés entre familles aussi font
légende pendant les mois de vacances. Les mères des jeunes émigrés en
âge de se marier, sont comme celles des jeunes d’ici. Elles usent de
toute leur diplomatie pour dénicher cette belle-fille obéissante et de
bonne famille. Elles profitent également de toutes les fêtes où elles
sont invitées pour sélectionner la fée disposée à devenir femme au
foyer en France.
Ils payent cashLes
vacances des émigrés ne profitent pas uniquement aux jeunes
célibataires des deux côtés de la Méditerranée. Avec un taux de change
de 1200%, c’est-à-dire l euro pour 120 dinars en été, les émigrés se
permettent de consommer, pendant les deux mois de vacances, dix fois
plus que les gens des villages. Les commerçants font une belle affaire.
Rabah, tenant d’une petite boutique d’alimentation générale au village,
nous dira que les émigrés lui permettent de respirer. Travaillant avec
les gens du bled avec une formule de crédit payable chaque mois, il
doit user de ses fonds propres pour combler le déficit de sa balance
commerciale.
Mais, voilà, lorsque les gens de là-bas arrivent, son magasin est alimenté quotidiennement. «
Chaque matin, je dois retourner au marché de gros en fruits et légumes de Tala Athmane»,
nous révèlera-t-il, tout content. Fait bizarre aussi, les émigrés de
France achètent également dans les magasins d’électroménager et de
vêtements. «
La mode est aussi au top chez-nous», dira fièrement
un jeune lycéen en discutant avec les jeunes émigrés déjà arrivés. Dans
la ville de Tizi Ouzou, les marchés et les étalages sur les trottoirs
attirent aussi les jeunes émigrés. La profusion de la marchandise à bon
marché est une aubaine pour eux. La contrefaçon permet d’imiter les
marques les plus chères en Europe. Sauf que là-bas, le contrôle est si
rigoureux que leurs prix restent toujours au-dessus des bourses des
émigrés.
Nos discussions avec des éléments de la communauté kabyle
en France ont attiré notre attention sur un phénomène que les
organismes en charge de l’émigration en France doivent prendre en
considération. Les démarches entreprises pour l’intégration de cette
communauté dans le tissu social européen, devront s’intéresser à la
société d’origine de ces émigrés.
Nous avons constaté des sentiments
de religiosité et de conservatisme plus accentués chez les émigrés que
chez leurs concitoyens du pays. Les vacances n’en sont qu’à leur début,
les gens aiment retrouver leurs familles exilées. II y a du plaisir à
se retrouver et cela se voit dans tous les villages où une nouvelle
ambiance s’installe chaque été.
Kamel BOUDJADI. l expression