Elle prend dans ses bras le corps sans vie, criblé de balles et ensanglanté de son fils unique. Elle pousse un strident «youyou» que renvoie l’écho de la forêt de Thilla. Elle jette un regard au ciel et d’une voix forte dit : «El-hamdoulillah, j’ai offert un cadeau à l’Algérie.»
La scène se déroule en 1957 à Igdhem, dans la commune de Guenzet, en Petite-Kabylie (Sétif). Feue La Tata Oubelaïd venait d’adresser un dernier adieu au chahid Bahmed El-Hadi-Igdhem qui est un hameau en ruines dans la commune de Guenzet où vivaient les familles Bahmed, au nombre de 14. Ruines laissées par la furia de la soldatesque française. Ses pierres résistent fièrement, comme pour témoigner du courage des hommes libres d’Ath Yaâla. Ce hameau, que le colonel Amirouche, chef de la wilaya III, a utilisé comme base arrière pendant la Guerre de libération et où il se rendait régulièrement, est situé à l’orée de la forêt de Thilla. Sur cette montagne (Thilla), les moudjahidine, les vrais, ont fait mordre la poussière aux troupes françaises. Igdhem en ruines renferme un trésor : la mémoire de six chahids, de cette famille dont le sang a arrosé cette terre. Bahmed Salah (1924/1957), Bahmed El- Hadi (1935/1957), Bahmed Layachi (1935/1957), Bahmed Messaoud (1935/1958), Bahmed Ali (1922/1957) et Ouali Mouloud, également membre de cette famille, font partie de la liste glorieuse des hommes tombés au champ d’honneur. A l’initiative des enfants de chahid, de la famille et afin que nul n’oublie, une stèle a été érigée à Igdhem, à l’endroit même où furent assassinés par l’armée française, le 13 février 1957, Salah et El-Hadi. Cette initiative citoyenne, soutenue par le Dr Benadouda P/APC de Guenzet, les moudjahidine de la région et Da Mohand, connu sous le nom de Moh Clichy, responsable au sein de la Fédération de France, a été l’occasion de rendre hommage aux martyrs et d’inaugurer le monument construit à leur mémoire. Devant une foule nombreuse, Da Mohand prend en premier la parole. L’orateur fait référence à Abane, qui avait déclaré : «L’arbre de la Liberté s’arrose avec le sang des martyrs.» Puis d’interpeller l’assistance à travers la citation d’un autre géant de la Guerre de libération, Didouche Mourad, qui a laissé le message : «Que ceux qui resteront après nous se rappellent notre mémoire.» «Nous sommes réunis aujourd’hui en ce lieu. Ce n’est pas simplement pour nous recueillir fraternellement, mais c’est aussi pour accomplir un devoir qui est le nôtre», dira Ramtane, fils du chahid Salah, au nom de toute la famille. Conscient que la mémoire de son père, des 5 autres chahid et de tous les martyrs appartient à la nation, il ajoutera : «En l’honneur et à la mémoire de tous les chouhada de la famille Bahmed, tombés au champs d’honneur, en accomplissant leur devoir patriotique, nous avons érigé en ce lieu cette stèle, à la fois symbole de recueillement familial et témoin du courage national, dont de nombreux Algériens ont alors fait preuve en cette période héroïque.» De son côté le Dr Benadouda après avoir rendu hommage aux chouhada, a félicité la famille pour cette initiative. Il a exhorté, par ailleurs, les nombreuses familles de la région à faire de même. Des exemples de courage et de patriotisme, comme celui de La Tata sont légion en Algérie. Les jeunes n’ont pas à rougir de l’histoire de leur pays. Bien au contraire. Si seulement nos dirigeants étaient au minimum à mi-chemin du courage de nos aînés !
Abachi L.