Une femme qui, avec son courage et son talent, a bravé tous les interdits.
Parler de grandes personnes qui ont écrit, en lettres d’or, l’histoire de la culture algérienne, cela contribue davantage à dépoussiérer leur mémoire. Une manière de réactualiser tout ce qui a été donné, par des hommes et des femmes artistes, afin que soit diversifié notre patrimoine culturel. A ce titre, et pour que la mémoire de nos artistes soit préservée, la direction de la culture de la wilaya de Bouira a, sous le patronage du ministre de la Culture, organisé un colloque de trois jours en hommage à Bahia Farah. C’est la première fois dans l’histoire de Bouira qu’un hommage est rendu à cette diva.
Avant-hier, après le dépôt d’une gerbe de fleurs sur la tombe de l’artiste, ainsi que sur la tombe de son époux, Mohamed Temmam, célèbre miniaturiste algérien et musicien surdoué, au cimetière El Kettar à Alger, la famille des deux artistes a rejoint la wilaya de Bouira, terre natale de Bahia Farah.
Le grand compositeur Kamal Hammadi a, de son côté, honoré Bouira par sa présence. Car, il est venu directement de France pour participer à ce colloque, et aussi rendre hommage à son amie Bahia Farah. Abdelkader Bendaâmache était aussi présent à cet événement. Pour ce qui est du reste du programme de la manifestation, une autre conférence sur le chant féminin de la guerre de Libération a été animée, durant la journée d’hier par Abdenour Abdesslam et Ramdane Lesheb. Pour la dernière journée, un grand spectacle aura lieu aujourd’hui au niveau de la Maison de la culture, et sera animé par de grands noms de la chanson kabyle, à l’instar d’Akli Yahiaten, Taleb Rabah...
Dans le hall de la Maison de la culture, une galerie de photos retraçant la vie et le parcours de l’interprète-chanteuse Bahia Farah. Un moment de souvenirs pour les uns et une découverte pour les autres. Puis, une conférence sur la vie et l’oeuvre de l’artiste, coanimée par les deux grands invités, Kamal Hammadi et Abdelkader Bendaâmache.
L’assistance qui suivait avec un grand intérêt les témoignages des conférenciers, semblait faire un voyage à travers les années parisiennes, l’époque où la majorité des artistes algériens faisaient des miracles en art, loin du bercail. Kamal Hammadi a beaucoup parlé de cette époque. Slimane Azem, Allaoua Zerrouki, Mohamed El Jamoussi (Tunisien) et Hocine Slaoui (Marocain), ainsi que Mohamed El Kamel se côtoyaient dans le monde de la musique. Et c’est en travaillant avec toutes ces artistes célèbres que Bahia Farah s’est fait un nom.
Un nom qui retentira à travers les âges. «C’était une femme aux grandes qualités artistiques, et d’une générosité exemplaire», témoignait Kamal Hammadi, qui garde en mémoire les mille et un souvenirs de l’artiste disparue. Pour lui, Bahia Farah, la femme qui a réussi, dès son jeune âge, à se faire une place dans la cour des grands, mérite tous les hommages. Le nom de l’époux, Mohamed Temmam, ou comme l’appelaient ses amis de la musique, «Sid-Ali», suscite tant d’intérêt.
Naissance à Bouira en 1917, Bahia Farah s’envole pour Paris à l’âge de 14 ans, où elle a décidé d’inscrire son nom comme une artiste sans égal. La preuve: son parcours d’interprète-chanteuse, de danseuse de talent, ainsi que les témoignages de ses contemporains, tout cela ne fait que conforter cette réalité. Bahia Farah, de son vrai nom Bounouar Fatma-Zohra, qui était orpheline, a non seulement fait montre de courage en bravant les interdits de l’époque, notamment le métier de danseuse, mais elle a participé à la création d’une identité culturelle. Bien que son nom soit resté longtemps oublié, son talent, lui, restera à jamais gravé dans les mémoires. Aussi, un quart de siècle après sa mort (le 1er avril 1984), Bahia Farah, par sa voix à la fois profonde et généreuse, dans le duo qu’elle a enregistré avec le monument de la chanson algérienne, Slimane Azem, Attas Issebregh restera éternelle. D’ailleurs, c’est à partir de cette chanson que le nom de Bahia Farah a commencé à retentir dans tous les milieux artistiques de l’époque. Comme elle a fait des duos avec plusieurs chanteurs de renom, à l’exemple de Allaoua Zerrouki, Akli Yahiaten et les autres. Son nom ne s’identifie pas uniquement à la chanson et à la danse, car, elle a aussi, pendant la guerre de Libération, été chargée de la sensibilisation au profit de la cause nationale. Elle était également membre actif dans les rangs d’une section de la Fédération de France.
Après l’Indépendance, Bahia Farah retourne en Algérie, où elle a travaillé plusieurs années aux côtés de cheikh Noureddine et Chérif Kheddam. Elle a laissé un riche répertoire. Environ une cinquantaine de chansons, mais les oeuvres qui ont été enregistrées ne dépassent pas une vingtaine. Elle décède à l’âge de 67 ans à Alger.
Bahia Farah faisait partie de cette génération d’artistes oubliés. Ceux qui se sont donné à fond, en musique, peinture, danse et autres domaines de l’art, et n’ont fait ce travail que pour exprimer l’amour qu’ils portaient à l’art. Il appartient aux générations qui ont pris le relais, de faire une pause et de lire dans les pages d’histoire culturelle, pour en savoir beaucoup plus de l’Algérie qui a donné naissance à des artistes de renom.
Ali CHERARAK