Ali Dilem s’est vu décerner le Cartoonists Rights Network’s Award qui récompense chaque année un dessinateur pour son travail et son engagement pour la liberté d’expression. Le prix lui a été remis le 9 juin à Denver (USA) au siège du Cartoonist Rights Network (CRN), une organisation internationale de défense des dessinateurs.
Ali Dilem a reçu le Trophée de la liberté de la presse, décerné en septembre 2005 par le Club de la presse du Limousin et Reporters sans frontières, à l’occasion du Salon international de la caricature, du dessin de presse et d’humour de Saint-Just-le-Martel.
ALI DILEMIcône de la jeunesse algérienne, caricaturiste du journal Liberté, Dilem* dessine l’actualité internationale, mais aussi et surtout l’actualité algérienne.
Aussi à l’aise dans son jogging, la casquette vissée sur sa tête, que dans son costume trois pièces, Ali Dilem, 35 ans, assume son franc-parler. Un grand brun, qui impose sa présence et sa force.
Une dernière cigarette, et on y va. Devant les caméras, la franchise reste, mais le stress s’installe. Le débat est lancé, Ali Dilem parle, ose et confirme qu’il est "le dessinateur le plus irrévérencieux de la planète", comme le surnomme la presse. Ses dessins sont bruts, directs, mais on comprend qu’il reste extrêmement lucide quant à la complexité et la gravité de la situation.
"Si vous voulez que je vous parle de massacres alors j’en parlerai. Mais il faut arrêter tout ce misérabilisme". Difficile de passer à côté des années noires de l’Algérie.C’est ce que nous, journalistes français, avons tendance à retenir trop souvent. En interview, il joue le jeu, explique que la vie est dure en Algérie, qu’il n’est pas en sécurité. En réalité, "la vie est magnifique à Alger, si vous saviez". Dilem désire passer à autre chose, mais les faits restent là.
Devant l’interview d’une mère algérienne qui pleure son enfant, il s’émeut.
Devant le récit de jeunes Algériens qui n’ont qu’une idée en tête, quitter leur pays, il se révolte.
"J'ai honte que mon pays soit vu de cette manière. Mais je n’en veux pas aux médias français. J’en veux à ceux qui ont donné l’envie à 30 millions d’Algériens de foutre le camp".
L’Algérie, ce n’est pas que des massacres, le voile humoristique que Dilem parvient à poser sur le papier en est la preuve.
Tout commence en octobre 1988. L'Algérie est alors en proie à de violentes émeutes. A l'époque, Ali a 20 ans: "C'est là que je me suis découvert une âme un peu contestataire". Une façon de porter la voix des jeunes,
de "ces jeunes que l’on n’entend pas".
On parle de démocratie, mais les mêmes personnes restent au pouvoir. "Je pensais au devenir des autres". Dans un esprit de continuité, il décide de rester fidèle à la pensée d’octobre 1988.
Son métier, il le dit, "c’est un plaisir un peu cynique, jouissif".
Bouteflika, les généraux, les islamistes, le Proche-Orient, les élections… L’actualité est passée au crible et se redessine sous le coup de crayon de Dilem : "C’est de l’irrévérence mais pas de l’indifférence". Chaque dessin reflète à la fois rage et humour. "Le Président, je le présente petit, ce qu’il est. Les généraux gros, ce qu’ils sont. Les islamistes méchants, ce qu’ils sont aussi. Je fais une petite lecture assez premier degré des personnages".
Debout dès sept heures du matin, Ali Dilem décortique toute la presse du jour : "Voilà ce qu’il y a pour demain. J’essaye de prendre ce qu’il y a de plus grave dans l’actualité.
Je n'invente rien, et je ne m’écarte jamais trop de la vérité".
Son métier, il le vit comme un journaliste, mais avant tout comme un Algérien. "C’est difficile dans le sens où quand on vous annonce qu’il y a un massacre où 400 personnes ont été égorgées, vous vivez ça en tant qu’Algérien. Ce sont des gens qui pensent comme vous, qui
parlent comme vous, qui ont pratiquement eu le même vécu que le vôtre".
Exorcisme. "Mes dessins sont comme un cri de douleur que je crache sur une feuille de papier", une façon thérapeutique "d’exorciser" les sentiments qu'il ressent face à l’actualité de son pays.
Un devoir ? Pas vraiment. Une passion ? Certainement. En tout cas, l’envie de se détacher des événements, une sorte de dimension parallèle qu’il créée pour alléger le poids de l’actualité."Cela ne veut pas dire que j’en ai rien à foutre. Je ne me moque pas".
Pour un grand nombre d’Algériens, ses dessins restent une manière d’oublier le poids des années, le poids des massacres, le poids d’une politique plus que critiquée.
"Je suis conscient de la place que peut avoir un jeune dessinateur qui dit ce que pensent tous les Algériens," avoue-t-il. Mais il reste humble.
Peur d’admettre le poids de la simplicité de ses dessins ? "Le poids, je ne tenais pas à le savoir. Justement pour ne pas avoir cette responsabilité sur moi". Les multiples procès "ne me dissuadent comme ne m’encouragent pas" à continuer de dessiner. De toute façon, son dessin du jour est attendu.
Dilem évoque ses prises de position, la censure, Khalifa. Et L’Année de l’Algérie. Pour lui, un non-événement. "Aucune importance. Pour moi, c’est wallou. Le cœur n’y ait pas, l’esprit encore moins".
D’après lui, le concept permet de poser un regard différent de l’Algérie vue de France. "Je trouve ça malsain qu’on essaye de vendre le pouvoir algérien de cette manière. Le gouvernement dépense je ne sais combien de milliards pour promouvoir une culture que même les Algériens n’ont pas".
Ali Dilem défend son pays, et ses dessins montrent au peuple algérien que la vie peut se prendre autrement que par le mauvais côté. Des caricatures où la mort et le malheur d’un peuple sont vus avec un humour criant de vérité.
*1967: Naissance à El Harrach, près d’Alger.
1990 : Après des études aux Beaux-arts et à l’école d’archéologie d’Alger, il débute le dessin de presse pour l’Alger Républicain.
1994 : Devant la polémique que soulèvent ses dessins, il quitte Alger pour Paris.
Depuis 1996 : Il travaille pour le journal Liberté.
2000 : Prix international du dessin de presse écrite à Rouen.