Gaïd Mouloud
Les Béni - Yala
OFFICE DES PUBLICATIONS UNIVERSITAIRES
1, Place centrale de Ben-Aknoun (
Alger)
AVANT-PROPOSJ'avais publié en 1953 une monographie de la région des Beni-Yala. En dehors d'Ibn Khaldoun, mes sources étaient locales. Les Kechida, Mammoum, Meddour, Bennani Yahia, Oudjhane Laidja (elle avait 103 ans à l'époque - elle se souvenait de la révolte de 1871), toutes des personnes âgées, sages, cultivées ayant gardé le souvenir de bien des événements survenus dans la région. Elles connaissaient l'origine de la plupart des familles de Beni-Yala. Elles se souvenaient des chants en vogue glorifiant tel ou tel personnage (Boumezrag en particulier). Elles me furent très précieuses pour reconstituer la toile de fond de l'histoire régionale.
Quant à Ibn Khaldoun, sans pénétrer jusqu'au fond de nos montagnes, il donne avec force détails l'origine des populations de la vallée, d'El Main, des Beni-Abbas, ...les ramifications de la principale branche qui aboutirent jusque là. Il décrit avec précision les fractions de la grande tribu des Beni-Hillal qui avaient abouti jusqu'à Chertioua, après avoir occupé le Hodna et les Hautes-plaines de Borj et Sétif, les conséquences de cet événement historique, l'abandon de la Kelaa des Beni-Hammad et l'édification de Bejaia, la civilisation qui y prospéra et son rayonnement dans la région.
Les populations de la Kelaa comme celles qui l'avoisinaient commencèrent à émigrer dès les premiers signes précurseurs de l'arrivée des Beni-Hillal. Les départs s'accentuèrent au fur et à mesure que les princes eux-mêmes quittaient le pays. La ville fut totalement abandonnée en 1152 après sa conquête et sa destruction par les Mouminides. Des populations se fixèrent dans les montagnes voisines, d'autres remontèrent vers le nord, jusqu'aux points les plus lointains des Kabylies, sur tout le territoire des Beni-Hammad, dans le Djurjura, les Biban et les Babor, constituant une ceinture de sécurité autour du royaume de Bejaia.
Les Beni-Yala, bénéficièrent de cet apport et sa population s'enrichit d'hommes lettrés, pieux, disposés à communiquer leur savoir et leur science. La connaissance de l'Islam s'enrichit alors de nouvelles données qui fit que les Beni-Yala devinrent un Centre culturel très renommé dans la principauté de Béjaïa à l'époque des Hafsides en particulier.
On se flattait au Beni-Yala de posséder plus grand nombre de jeunes connaissant par cœur la totalité du Coran.
La population, dans son ensemble, est pauvre mais digne. Pays montagneux, la vie est rude, elle nécessite un travail permanent qui procure le ou les moyens de subsister. On émigré dans chaque famille, on va chercher du travail en France, dans les grandes villes, partout où les possibilités s'offrent à l'emploi d'une main-d'œuvre pas toujours qualifiée. La famille organise parmi ses membres le tour de rôle de ces départs à l'étranger à la recherche du travail - une nécessité absolue à la survivance et au maintien de l'honorabilité de la famille. Ces mouvements internes, en fait, ne touchaient en rien les traditions et les moeurs héritées des ancêtres. La règle de conduite de chacun comme celle de la collectivité suivait les mêmes principes que ceux légués par les anciens.
Il a fallu la guerre délibération pour en sentir quelques changements, et l'indépendance pour en connaître les bouleversements. La Révolution et les temps modernes ont mis leur empreinte en tous les domaines. Certaines traditions ont été abandonnées, d'autres ont été modifiées, les mœurs tendent à suivre le cours du modernisme. La maison kabyle, elle-même avec toute la sécurité qu'elle comportait fait place peu à peu à la maison de type occidental avec ses commodités plus ou moins adaptées. Celle-ci avec l'exode de la plupart des familles, est devenue une maison secondaire que l'on occupe quelques jours dans l'année au moment des vacances. La guerre a été la principale cause de cet exode massif - exode volontaire ou imposé par les militaires français pour faire le vide et priver les moudjahidines de ravitaillement et de contact avec les populations. La guerre a touché tout le monde. Qui n'a pas été malmené par les Harkis et les paras ? Qui na pas perdu un ou plusieurs membres de sa famille ? Combien ont fui les représailles après une défaite cuisante de l'ennemi ?... Il y aurait beaucoup à dire...
Région cultivée, région politisée, ses hommes ont participé à tous les mouvements d'opposition, à tous les soulèvements armés, à tous les partis politiques. Qu'ils fussent-là dans la région, ou dans les régions les plus lointaines; ses hommes se sont toujours montrés à l'avant-garde du nationalisme et des partis qui le soutiennent.
En France, ils furent, au sein de la Fédération de France, des éléments courageux, sincères, totalement acquis aux idéaux révolutionnaires. Hafri Mohand a été par exemple un chef zonal - Lafri un homme de main qu'aucun ennemi ne faisait reculer,d'autres encore avaient occupé des postes de responsabilité politique au plus haut niveau dans les instances nationales et internationales. D'autres encore avaient milité dans les villes combattu dans d'autres régions en W IV (Akkouche Tayeb) - en Zone autonome d'Alger (Gaïd Tahar - Boukhalfa et tant d'autres) - Gaïd Mouloud - Responsable syndicaliste chef de la délégation extérieure. Certains v sont restés ensevelis parmi les martyrs au service de 1 indépendance et de la liberté du pays. Il serait vain de citer des noms et raconter leurs exploits. Connus de tous ils font la gloire de la région.
Les survivants de cette longue lutte, m'ont rendu d'énormes services en me rapportant leurs exploits et ceux des compatriotes qui n on pas survécu à la tourmente. Ils ont participé, de ce fait, à l'écriture de l’histoire du pays en général, et celui des Beni-Yala en particulier.