BOUHARA SALAH Un homme pas comme les autres.
Pas comme les autres, parce qu’il a tout connu : la politique, la guérilla, la prison, l’évasion, le maquis, la blessure, la torture, la patience, le courage, mais aussi l’anonymat. Tellement la modestie est devenue presque synonyme de débilité avancée, tellement les faux héros ont effacé de braves résistants, j’ai décidé de parler d’un homme qui a préféré sombrer dans l’anonymat.
Un homme au sens propre et figuré, dont le parcours, même non médiatisé jusque-là, est des plus honnêtes et honorables. Des positions courageuses, il en a eues. Un comportement héroïque, aussi. Il aurait pu continuer à jouir des délices du pouvoir, s’il avait consenti de demeurer dans sa périphérie. Du haut de ses 80 ans (né en 1929), il est toujours égal à lui-même, conséquent avec ses principes. Des principes qu’il dit avoir acquis de sa longue vie de militant. Son militantisme pour la cause nationale a commencé à se forger dans les rangs du PPA-MTLD, puis au sein du FLN. Egalement dans les rangs de l’ALN (Armée de Libération nationale). Mais avant, il a dû faire ses preuves dans la guérilla à Alger. Sans faire dans la publicité mensongère, l’homme a été à l’origine de l’instauration du couvre-feu à Alger en mars 1956, lorsqu’il a réussi à incendier les garages Valentin. N’était l’intervention du destin à la toute dernière minute, André Achiary aurait pu répondre des atrocités commises contre les populations de Guelma en 1945, car il était sa cible en mai 1956. L’attentat a, certes, échoué mais la détermination de Si Salah, dit Si Mourad, n’a pas été affectée d’un iota. Cet homme, enfant de Tijet (commune de Harbil, dans la wilaya de Sétif), a grandi dans La Redoute (El- Mouradia). Cette même localité a enfanté Didouche Mourad et d’autres valeureux révolutionnaires. D’ailleurs, c’est près de lui que Si Salah a évolué. Bouhara Salah, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a connu le PPA-MTLD et a même approché Messali El Hadj. En son sein, il a appris le sens de la patrie. Il a milité dans son organisation de jeunes, avant de devenir responsable des localités d’El- Mouradia, El Madania et Bir-Mourad- Raïs, après Dadah Abderrahmane. Au PPA-MTLD, Bouhara Salah, même s’il n’en parle pas beaucoup, il en compte des actions passibles de prison alors. Des écriteaux muraux allant de «Libérez Messali» et «vive l’Algérie», il en a écrit de jour, comme de nuit. Toujours dans le giron du parti, il a côtoyé de grands hommes, à l’instar du défunt Debih Cherif. Avec ce dernier, en plus de l’amitié qui les liait, il apprendra ce qu’est la signification du sacrifice pour le pays. Un sacrifice que Debih traduira dans les faits, quand il a préféré accompagner l’explosion de la bombe qu’il a lui-même confectionnée, en ne se rendant pas aux Français qui le cernaient. Bel exemple de courage que d’autres autoproclamés héros n’ont pas su suivre ! Ces pseudohéros qui, aujourd’hui, se targuent de faits d’armes, qu’ils n’ont jamais accomplis et quand il fallait résister devant la torture juste un cours laps de temps, ils sont passés aux aveux sans recevoir la moindre gifle. Contrairement à Bouhara Salah, dont le corps garde toujours les séquelles de la «gégène», qui s’est tu pour ne pas donner ses compagnons d’armes. Brave et d’un courage immesurable, Si Salah, ou Si Mourad, a été de toutes les batailles. Une fois l’histoire du PPA-MTLD arriva fâcheusement à sa fin, Si Salah a déjà choisi son camp. Il est du côté du FLN. Pas pour faire de la politique, mais pour prendre les armes. En compagnie des Fettal Mustapha et Yacef Saâdi, ils organisent Alger en trois régions, et ce, dès 1956. Bien avant l’instauration de la Zone autonome d’Alger en 1957. Arrêté durant le mois d’août 1956, il est incarcéré à Serkadji. Durant son séjour carcéral, il ne resta pas passif. Il a creusé le sol pour s’évader. L’entreprise n’a pas réussi, mais lui ne déchanta point. De Serkadji, il passe quelque temps à El-Harrach avant d’être transféré à Saint-Leu (Bethioua). Lors de sa détention à Serkadji, Si Salah partagea, sa cellule avec un certain Moufdi Zakaria. A Saint-Leu, l’idée de narguer ses gardiens germaient de plus en plus. Il devait prendre le large, parce qu’il était écrit que la révolution pour Si Salah n’allait pas s’arrêter en si bon chemin. Partout. Dans chaque coin de la prison, il y était. Le destin, encore lui. Si Salah est côte à côte avec feu Adda Ben Aaouda, dit comandant Si Zaghloul. Ce qui n’a pas marché à Serkadji a pu l’être à Bethioua. Si Zaghloul et Si Salah sont dehors, ils se sont évadés. Convalescent qu’il était, il aurait pu se contenter du repos. Le repos du guerrier, d’autant qu’il était amplement mérité. Si Mourad, puisque c’est désormais son nom de guerre, favorisa le maquis. Du citadin qu’il fut au maquisard qu’il est devenu, ou encore du fidaï au djoundi, Salah Bouhara s’y plaisait beaucoup. Sa signature est, une fois de plus, apposée à Arzew où ses bombes ont réussi à extraire les Français de la quiétude et de la joie de vivre dans laquelle ils vivaient des années durant. Activement recherché, il devait prendre la direction du maquis. Si Zaghloul lui confia la direction d’une zone dans l’Oranie. Il y reste jusqu’au recouvrement de l’indépendance. Si Mourad devait revenir chez les siens où il comptait déjà, en sus de sa femme, un garçon. Si Mourad reprend Si Salah, même si l’un et l’autre ne font qu’un. A Alger de nouveau, il s’associa avec ses anciens compagnons pour diriger la Fédération FLN d’Alger. Sa notoriété et son passé révolutionnaire plaident en sa faveur pour se voir élire député dans la première Assemblée populaire nationale (APN). Il est député. A vrai dire, c’est celle-là sa vraie vocation. Ben Bella alors président de la République en sait un bout. La Fédération d’Alger n’étaient pas maniable et ses prises de position le mettait mal à l’aise, politiquement s’entend. Lors du congrès du FLN en 1964, Bouhara Salah et ses compagnons adoptèrent la charte d’Alger et s’opposent à Ben Bella et son gouvernement dans lequel feu le défunt Houari Boumediene siégeait en qualité de vice-président. Le cinéma Afrique demeure témoin de ce clash politique. Allant plus loin de son raisonnement, la Fédération FLN d’Alger comptait engager une procédure de destitution à l’endroit de Ben Bella, conformément aux statuts du parti. Quand le coup de force de 1965 fut perpétré, par principe Si Salah et ses compagnons d’Alger étaient les rares, sinon les seuls, à s’y opposer publiquement. Même au sein de l’APN, les députés d’Alger ont refusé de signer le transfert de leurs pouvoirs au Conseil de la révolution. Croyant que son premier soutien allait s’exprimer par la Fédération d’Alger, du fait des nombreuses incompréhensions émaillant les relations ayant caractérisé cette dernière avec Ben Bella, Boumediene est frustré devant cette fin de non-recevoir. Contraints, même s’ils ont choisi de démissionner de la politique, chacun d’eux a trouvé un créneau pour vivre et faire vivre sa famille. Entre-temps, les opportunistes d’hier, qui ont applaudi Ben Bella, Boumediene et tous les pouvoirs qui se sont succédé après, continuent d’applaudir et de plus fort. N’était-il pas dit que «les sages projettent une révolution, ce sont les braves qui la font et ce sont les lâches qui en profitent». C’est exactement le cas présentement. Les faux héros ont gravi les échelons de la hiérarchie, pas les vrais. Il y’a même ceux qui se revendiquent colonels, alors que le sang de leurs victimes données de peur aux «paras» n’a pas encore séché. Tandis que les vrais «baroudeurs» continuent de raser les murs dans l’anonymat le plus total. En tout cas, Bouhara Salah est un de ces anonymes qui peuvent raconter l’histoire sans en être un historien. Tout simplement parce qu’il en a été un artisan. Un vrai. Hélas, ce genre d’hommes ne courent pas les rues, car sa modestie l’empêche de verser dans le faux, comme le font certains qui ont confondu entre la fiction qu’ils ont écrite et les batailles auxquelles ils étaient inscrits aux abonnés absents. J’aurai pu attendre que Si Salah Bouhara ne soit pas de ce monde pour écrire sur son passé de militant et révolutionnaire, mais ça serait un autre assassinat que j’aurai commis à son égard. Lui, qui a été ignoré par les cercles politiques actuels du pays, car n’aimant pas trop se vanter, va être grandement en colère contre moi, mais j’ai couru ce risque, car moi aussi, je suis convaincu qu’il est venu le temps où les vrais héros doivent revenir…
Azzedine Aggoune.