Mythes berbères
Le rite de l’Aïnsla...
A chaque retour de canicule, on entend nos vieux et vieilles parler à tout bout de champ de “Aïnsla” mais il vous suffit de leur demander l’origine et la signification de ce mot qu’ils esquissent une moue dubitative et s’empêtrent dans des explications approximatives.
Les uns vous diront, sans grande conviction, que “Aïnsla” dérive du verbe iaunsal qui s’applique généralement pour du bois atteignant sa maturité ; ils vous conseilleront à l’occasion de ne pratiquer la greffe végétale après “Aïnsla”. Les autres vous diront que Aïnsla désigne tout bonnement la période caniculaire de la saison estivale. D’autres jureront que c’est une tradition ancestrale qu’il faut jalousement sauvegarder sans ajouter un piètre mot pour éclairer votre lanterne.
Les avis divergent aussi sur sa durée ; certains disent qu’elle ne dure qu’une seule journée, qu’elle se situe dans le calendrier berbère exactement le 7 juillet de chaque année, d’autres pensent qu’elle dure une semaine, d’autres une période indéterminée qui change selon les années. Chacun a son explication sans pour autant donner aucun détail sur l’origine de cette tradition. Dans son volumineux livre Tradition et civilisation berbères, Jean Servier a consacré tout un chapitre à Aïnsla. Les explications légendaires qu’il a rapportées sont différent d’une région à une autre. Ainsi la légende qu’il a reccueillie en Grande Kabylie raconte ceci : “Autrefois vivait une reine juive nommée Aïnsla qui tomba amoureuse de son fils. Pour satisfaire son désir, elle lui fît bâtir un palais et devint sa maîtresse. Plus tard, elle donna le jour à une fille qu’elle obligea son fils à épouser. Le soir du mariage les deux époux éprouvèrent l’un pour l’autre une aversion profonde mais l’union fut cependant consommée ; le garçon s’aperçut à sa grande terreur qu’il éjaculait du sang. Un devin consulté le lendemain, leur révéla la vérité. Traduite devant l’assemblée des notables, la reine avoua son double crime et fut condamnée à être brûlée vive devant la population réunie, au milieu des champs cultivés. Les arbres touchés par la fumée du bûcher produisirent en abondance des fruits magnifiques alors que les autres ne donnaient qu’une pauvre récolte”. Une autre légende, recueillie chez d’autres paysans, raconte qu’il y a longtemps au temps, des Juifs qui vivaient en Afrique avant les Romains, vivait une sorcière nommée Aïnsla douée d’un grand pouvoir ; quand elle mourut, les habitants de la région voulurent garder son corps comme talisman. Après l’avoir lavée et purifiée, ils décidèrent d’aller dans la forêt pour chercher toutes sortes de plantes aromatiques pour embaumer le corps de la sorcière afin de le conserver et de garder la puissance magique qui y restait attachée. Ces légendes sont évidemment sujettes à plusieurs critiques, l’une d’elles et non des moindres, c’est cette propension qu’ont les ethnologues et historiens européens et orientaux à donner systématiquement des origines étrangères à toutes les traditions et légendes berbères.
Comme on le voit, les thèmes fondateurs de ce mythe sont l’amour, l’inceste, le bûcher et la purification.
On en reparle à chaque été...
Une question se pose alors: “Ces thèmes, les retrouve-t-on dans la pratique et les rites qui entourent aujourd’hui Aïnsla ? Nna Zahra, une vieille femme originaire de l’Akfadou se rappelle avec nostalgie le faits et gestes de sa famille au jour de Aïnsla. En ce jour, nous raconte-t-elle, on préparait un repas spécial à base de pâtes “effetseth”, on le servait dans un large plat d’argile “tarbuyth;” au milieu de ce plat de pâtes on pratiquait un trou qu’on remplissait d’huile d’olive. Avant de commencer à manger chaque membre de la famille se regardait dans l’huile et prononçait des formules de bénédictions telles que : “Dieu protège-nous de toute maladie et de la canicule !”, “Dieu faites que notre production agricole soit abondante !”
Après ces prières, chaque membre de la famille enfonçait deux doigts dans l’huile et se graissait la tête et le front. Le lendemain de ce dîner abondamment huilé, les membres de la famille se rendaient tôt le matin à leurs figueraies où l’on procédait à la cueillette des figues sauvages “ddukkar” qu’on accrochait sous forme de collier aux figuiers cultivés. Si les figues mâles venaient à manquer on se remplissait les mains de terre réduite en poussière qu’on jetait sur les figuiers en prononçant cette formule : “A yahnin a ya djebbar, akkal akhir n’ddukkar”. Le but de toutes ses opérations c’est de purifier les figuiers et d’accroître leur production. “Ça, c’est le bon vieux temps, nous dit en conclusion Nna Zahra maintenant, tout a disparu avec les anciens, on n’a presque plus d’oliviers, encore moins de figuiers”. Nna Dahbia, des Ath Djennad, nous raconte presque la même chose à propos de Aïnsla mais elle ajoute que dans sa région en plus du procédé de la caprification eux procédaient aussi à l’enfumage des vergers. Ainsi, chaque 7 juillet nous dit-elle, on allumait partout dans sa région les feux de Aïnsla. En conclusion, dans presque toute la Kabylie les thèmes récurrents de cette tradition sont le feu et la purification. Aussi, les feux qu’on allume le jour de Aïnsla sont des feux purificateurs et fructificateurs.
Boualem B. la depeche de kabylie
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