Il passe de 389 à 462 sièges .
Par : Khalfa Mameri *
Bien que sans illusion, je veux crier mon indignation contre l’augmentation du nombre de députés pour la prochaine assemblée nationale qui sera élue le 10 mai 2012. Ici même, dans ce journal qui m’offre l’hospitalité appréciée, j’ai dit à plusieurs reprises, depuis des mois, voire des années, qu’il fallait, au contraire, diminuer fortement le nombre d’élus de la nation, à tous les niveaux, et même supprimer purement et simplement le Conseil de la nation (Sénat). J’en ai donné les raisons, puisées à la fois dans l’expérience institutionnelle de notre pays comme dans celles des autres États, à très forte tradition démocratique. Je ne résiste pas au sentiment qui m’envahit, comme tant d’autres de mes compatriotes, de “prêcher dans le désert”.
Une fois de plus, je redis que rien ne justifie d’augmenter de 79 députés l’effectif de la prochaine assemblée qui passerait de 389 à 462. Il me faut le prouver calmement, sans esprit polémique, surtout à l’intention du lecteur qui seul m’intéresse désormais. L’argument, utilisé à satiété par le gouvernement, comme par la plupart des partis politiques et, curieusement, par beaucoup de journalistes, est que, je cite : “L’accroissement de la population algérienne conduit mécaniquement à l’augmentation du nombre de députés.”
C’est à la fois stupide et insupportable. Seul a raison le philosophe anglais, Bertrand Russel, qui a prévenu, tant et tant de fois, qu’on peut faire croire n’importe quoi aux peuples. Commençons par des choses simples, par des chiffres compréhensibles par tout le monde.
Le nombre de députés aux États-Unis d’Amérique (on dit représentants là-bas) est de 435 pour une population de 313 millions d’habitants. En France, ils sont 577 pour une population quasiment doublée de la nôtre, évaluée à 35 millions de personnes.
Je laisse de côté, volontairement, bien d’autres critères liés à l’étendue des territoires, des responsabilités mondiales et même des richesses pour me limiter au seul paramètre de la population. La conclusion est évidente, aveuglante. Pourquoi l’Algérie aurait un nombre de députés supérieur à celui des États-Unis et même, bientôt peut-être, de la France, puisque certains hommes politiques de ce pays, y compris son président actuel, proposent de ramener le nombre de députés autour de 400 ?
Est-ce que notre pays est plus riche, plus puissant, plus peuplé ? Bien sûr, j’entends déjà siffler à mes oreilles les “super patriotes” qui me demanderaient pourquoi, après tout, citer les exemples des États-Unis et de la France, comme je pourrai citer bien d’autres ? D’avance, je leur donne raison. Mais si je le fais, c’est tout simplement pour crier ma colère contre tous ceux qui veulent nous faire croire n’importe quoi. Il n’y a aucune logique, ni historique, ni économique, ni politique, ni mécanique, qui justifierait l’augmentation du nombre de députés.
Sans être trop long, je passe aux conséquences désastreuses d’une telle décision. D’abord, le coût financier. Tout en restant en deçà de ce que coûte réellement un député, je prends à dessin un chiffre moyen que je situe autour de cinquante millions de centimes, toutes dépenses confondues : indemnités plus frais de fonctionnement d’une assemblée : personnel, voitures, fournitures de bureau… C’est donc près de quatre milliards (79 x 50 millions) de centimes par mois qui seront nécessaires pour absorber le coût des 79 nouveaux députés qui nous sont imposés.
D’autres conséquences sont, elles, réellement mécaniques : réaménagement ou extension des locaux de l’Assemblée, déjà inappropriés pour les effectifs actuels, eux-mêmes pléthoriques, encombrement et mauvaise qualité des débats en raison du nombre excessif, etc.
Au total, je considère que le nombre de députés pour notre pays, à l’exclusion d’un Sénat qui n’a aucune raison d’être, devrait être autour de 250 à 300 maximum.
Au moment où tant de pays sont angoissés par un avenir plus qu’incertain dès lors que tous se préparent à une compétition impitoyable, l’Algérie ne fait que gaspiller ses chances, ses atouts et son argent ; en fait, et sans démagogie aucune, celui du peuple.
Ce sont les États les plus riches, surtout occidentaux (Europe et Amérique du Nord), qui réduisent fortement leur train de vie et leurs dépenses publiques. Tout y passe : effectifs des fonctionnaires allégés, âge des retraites allongé, pensions diminuées, franchises médicales augmentées, médicaments déremboursés, salaires amputés, filets sociaux revus à la baisse, etc.
Si durs que soient les images ou les témoignages rapportés dans les défilés des manifestants qui emplissent les rues européennes pour protester contre tant de plans d'austérité, ils devraient avoir pour nous valeur d’exemples et d’avertissements. L’Algérie peut, elle aussi, elle surtout, sombrer dans la précarité et la pauvreté. Plus vite et plus grave que ne le croient beaucoup. C’est déjà le cas de beaucoup trop de jeunes, beaucoup trop de vieux, beaucoup trop de familles. Qui ne le sait ? Que chacun regarde autour de lui, dans son quartier ou son village. Ne pas dénoncer des mesures coûteuses, inutiles, qui n’ont d’autre but que de servir des clientèles politiques, c’est se rendre au moins indifférent, voire moralement complice de l’injustice qui s’accentue au sein de la société algérienne.
Liberté
(*) Ancien professeur de droit constitutionnel, ancien député