Médecin à Béjaïa, ville-jacasse s’il en est, sa qualité de romancier est tout juste connue du cercle des intimes et des initiés.
"D’abord nous sommes restés cois en nous demandant comment parler de quelqu’un qui n’a jamais parlé de lui, si ce n’est par son gigantesque travail théâtral et poétique, lui qui a toujours mis en avant la création pour promouvoir la revendication linguistique kabyle.”
En parlant ainsi de Mohya qui venait de s’éteindre après une vie de bénédictin vouée à la revivification de la culture kabyle, gageons que Amar Mezdad parlait aussi de lui-même. A l’ésotérisme de la littérature kabyle, il ajoute le secret de sa personnalité propre. Tant et si mal que c’est une photo du chanteur Meksa, qui aurait été l’interprète de quelques-uns de ses poèmes, qui illustrait récemment un papier de la Dépêche de Kabylie relatif au séminaire consacré à son œuvre prévue mercredi et jeudi, à la Maison de la culture de Béjaïa.
Mais, il ne s’agit là ni d’un caprice de génie en proie à ses phantasmes internes ni d’un snobisme de people. Il faut y voir sans doute quelque disposition personnelle mais plus encore une posture politique autant réfléchie que subie. L’échec général enregistré par la militance partisane et son tintamarre médiatique aura conséquemment remis au goût du jour la vision "culturaliste". Pour les partisans de celle-ci, la promotion de la question berbère passe d’abord par la production culturelle tous azimuts.
Il s’agit de poser un fait accompli culturel d’autant fort qu’aucun pouvoir ne peut l’obvier. Cela va sans dire que les acteurs d’une telle entreprise sont trop "précieux" pour se commettre dans des démarches qui peuvent peu ou prou attenter à un dessein aussi important. L’agit-prop, c’est peut-être un mal nécessaire, mais la poésie n’est pas l’apanage du premier venu.
Mouloud Mammeri dont Mezdad était le disciple assidu lorsqu’il tenait une chaire de berbère à l’université d’Alger s’en est déjà expliqué. "J’ai conscience d’œuvrer dans une période de transition, où certaines possibilités, peut-être certaines audaces me font défaut. Mais j’ai espoir de préparer le lit à des desseins plus radicaux et qu’un jour la culture de mes pères vole d’elle-même", confiait-il, en 1990, à Tahar Djaout. Le délitement progressif du champ social, la montée des populismes et des intolérances, le nivellement général par le bas, achèvent le "repli" imposé aux catégories intellectuelles. Blasées et désabusés, elles continuent vaille que vaille d’occuper un champ que les béotiens de tous poils ont depuis longtemps conquis et soumis à leur guises. On est pratiquement aux antipodes de l’"intellectuel organique" cher à Gramsci, en tout cas plus proche de la posture "cléricale" ou l’"amousnaw" commande du haut de son piédestal. Cela donne une espèce de "pessimistes actifs" (Camus) qui posent un regard ambivalent sur le monde qui les entoure. Cette conception monastique est quasiment une caractéristique des acteurs de la production "livresque" kabyle. Et c’est tout naturellement que celui qui est peut-être le plus grand écrivain kabyle demeure très peu connu du grand public.
Mais si la littérature en général et singulièrement kabyle demeure l’apanage d’un cercle quasiment confidentiel, le nom d’Amar Mezdad a une résonnance particulière dans le microcosme culturel.
Le poème Yemme Tedda hafi chanté par le groupe “Tagrawla” donne la mesure de la sensibilité d’Amar Mezdad qui en est l’auteur.
Après s’être un temps "dispersé" sur plusieurs fronts de la création culturelle, il se fixe le cap de l’écriture romanesque à partir des années 90. Une période qui coïncide avec le début des désillusions relatives aux possibilités de promotion de la culture berbère par les instruments partisans. Il publie Id d Wass (1990), puis Tagrest U ru (2000), Tu alin (2003) Ass-ni (2006).
Mais qui est-il vraiment, biographiquement parlant ?
"Amar Mezdad fut de ceux qui ont posé les fondations de l’écriture amazighe. Il me souvient qu’il écrivait déjà en 1972 quand nous étions étudiants à Ben-Aknoun. Il était de tous les combats”. Il avait joué avec nous dans Mohamed, prends ta valise de Kateb Yacine malgré son appréhension de la scène. Ainsi voulaient les nécessités du combat !
"Ma foi s’il faut jouer du tambour, pourquoi pas ?", me disait-il à l’époque. Et effectivement, il avait rimé, chanté. Il faisait partie du groupe "Imazighen-Imoula" à ses début", écrit Said Sadi, qui fut aussi romancier dans une autre vie, dans la préface d’Id d Wass.
L’auteur d’Askuti décrit un homme véritablement aux prises avec l’enfer du devoir, un écorché vif, obnubilé par le devenir de la langue berbère dont on ne sait trop s’il est mû par une vocation innée ou par le prégnant sentiment du devoir. "Et si notre effort s’évaporait avant que nous atteignons le but ? Ne sommes-nous pas les légataires de l’histoire des Berbères ?", s’angoissait-il auprès du futur psychiatre.
L’oppression politique, la solitude, la minorisation et souvent l’ingratitude dans lesquelles avait vécu cette génération pionnière n’ont d’égal que l’urgence de donner à la culture berbère, quasiment en ex-nihilo, un socle consistant. Cette urgence n’est pas cependant synonyme de bâclage. L’œuvre mezdadienne est saluée par les plus exigeants, à l’image du très élitiste Salim Chaker — sorte de technicien placide et impersonnel de la langue berbère — qui a traduit l’une de ses nouvelles pour la prestigieuse NRF, comme une contribution de qualité au chantier culturel berbère.
Le plus grand mérite de cette génération est sans doute d’avoir su conjuguer l’urgence à la qualité. D’avoir placé la barre si haute que la production culturelle berbère semble destinée à faire exception de l’affaissement général que connaît la société dans son ensemble.
Mohamed Bessa