BIOGRAPHIE
D’une braise naquit le volcan
Le 5 mai 2009, l’Algérie commémore le cinquantième anniversaire de la mort de l’un de ses héros de la guerre de Libération. Il s’agit du colonel Si M’hamed Bougara, chef de la Wilaya 4.
«A l’heure où l’on se plait à dire que la rébellion a perdu la partie, parce qu’elle est étranglée aux frontières tunisiennes et marocaines, incontestablement, le djoundi souffre dans le maquis physiquement et moralement, nous assistons à un phénomène déconcertant. Au beau milieu du territoire algérien, la Wilaya 4 fait montre d’une vitalité et d’un dynamisme extraordinaires. Elle s’est toujours singularisée par rapport aux autres Wilayas. Cela tient à la personnalité rayonnante du Colonel Si m’hamed, un véritable chef de maquis. Grâce à lui, la flamme révolutionnaire brûle dans la Wilaya 4 ; une Révolution qui se veut pure et qui s’affermit même par opposition au relâchement relatif régnant dans les autres Wilayas.» Il s’agit-là du colonel Si M’hamed Bougara, chef de la wilaya IV historique, vu par son pire ennemi le général Massu qui, dans son livre Le Torrent et la digue (1959), témoigne du caractère résolu de ce chef politico-militaire de l’ALN.
UNE ÉDUCATION TRADITIONNALISTE ET EXEMPLAIRE
Le chef de la Wilaya 4, Ahmed Bougara de son vrai nom, est né le 2 décembre 1928 à Khemis Miliana, wilaya de Aïn Defla, rue du Maroc, dans une partie de l’agglomération qui est loin d’être le lieu des défavorisés. Il est le troisième d’une famille de 7 enfants issus du second mariage de son père Larbi (1885/1964). Le papa est originaire de Titest, petite commune de la région des Ath Yala, dans la Petite-Kabylie, dans le Nord sétifien. Celui-ci a fait découvrir à ses enfants, sa région natale dès leur jeune âge quand ils les emmenait en vacances. Mais ayant acquis une aisance par son labeur au sein des P et T et devant la pauvreté qui régnait dans cette localité montagneuse, Larbi s’est désisté par générosité de la part des terres qui lui revenaient de droit, et ce, au profit du reste de la famille. Il était technicien réparateur du réseau téléphonique. Il a été, en effet, muté dans la ville d’Affreville où est né ce chef de l’ALN. «C’était un travailleur dur, très exigeant qui ne se plaignait jamais», nous confie Yamina, l’une des sœurs du chahid qui nous a reçus pour nous parler de l’enfance de Ahmed Bougara. Le nom réel des Bouraga à Titest est Benmessaoud. Le nom de Bougara aurait été attribué par l’administration coloniale en référence à Bougaâ (ex-Lafayette) dont dépendait à l’époque Titest. Grand traditionaliste, le père, dont la jeunesse fut certainement forgée par la dureté des montagnes de la Kabylie, est un homme de labeur. Il ne badinait pas avec l’enseignement des principes de droiture et de dignité dans sa famille. Il a, par conséquent, inculqué une éducation exemplaire à ses enfants. «Nous ne manquions de rien. Il nous obligeait à suivre des cours par correspondance. Il veillait également à l’accomplissement des rites de l’Islam et nous recommandait la discrétion», dira Yamina. C’est dans ce climat familial rigoureux mais serein que Ahmed passa son enfance. Il n’avait pas de problèmes sociaux, par contre la situation de son pays et les injustices subies par les Algériens le perturbaient grandement. Elles ont fini par forger son caractère de rebelle invétéré tout en le rendant très attentionné vis-à-vis des faibles.
LA BRAISE C’est au sein des Scouts musulmans qu’il a été confronté aux idées révolutionnaires. Mais c’est le carnage du 8 mai 1945 qui l’a profondément marqué. Le choc a constitué sûrement un tournant dans sa vie de révolutionnaire, totalement engagé pour son idéal. En outre, son enthousiasme politique précoce lui a valu des déboires avec l’administration coloniale. Sa sœur témoigne de l’engagement avancé pour la libération de son peuple : «Il partait tous les dimanches tôt le matin. A chaque fois, il rentrait tard et ses vêtements étaient un peu sales. Ma mère avait insisté une fois pour en savoir plus. Il s’est contenté de lui répondre ; je m’entraîne pour la Révolution.» Ahmed Bougara devait alors avoir 16 ou 17 ans, âge où l’on se soucie plutôt de bien-être que de révolution. La mère nota également l’acharnement de son fils dans l’écriture. Un jour qu’il remplissait des bouts de papier`, elle osa une question. Elle eut cette réponse : «Je rédige des bons pour redonner la terre des colons aux paysans algériens après l’indépendance.» Dans le contexte des années quarante, rêver de l’indépendance de l’Algérie était complètement insensé. Mais pas pour les idéalistes. Il s’engage au sein du PPA. Son activisme lui a valu une première arrestation, chez lui devant les membres de sa famille, par les services spéciaux français. Il a été transféré à Tizi-Ouzou pour y subir, pendant 11 jours, un interrogatoire musclé. En 1946, il part en Tunisie pour intégrer la Zitouna. A son retour, en 1947, il intègre le centre de formation professionnel de Kouba (Alger). Lors de sa formation pour laquelle il obtint un diplôme d’électricien, il a côtoyé des stagiaires qui deviendront plus tard des chefs militaires de l’ALN. Il a travaillé comme cheminot tout en poursuivant son militantisme dans le PPA. A la création de l’OS (Organisation spéciale), il fait partie de l’effectif de cette organisation clandestine. Après le démantèlement, en 1950, de cette structure paramilitaire, il a été arrêté en compagnie d’une cinquantaine de militants. Son père, qui croyait bien faire, avait contacté un certain maître Papillon qui, disait-on, était le meilleur au prétoire. Ahmed le récuse. Il avait uniquement confiance en sa foi pour la justesse de son combat. Défait, l’avocat dit au père : «Votre fils est un irréductible. Je ne peux pas le défendre.» Il a été condamné à la prison ferme avec interdiction de séjour dans son département d’origine. Après 2 années passées en prison, il est mis en liberté provisoire. Il reprend ses activités politiques dans la clandestinité dans le quartier de Belcourt. C’est peut-être le second tournant décisif de la vie de ce véritable grand moudjahid.
LE VOLCAN
En 1953, entouré d’une garde de militants, il fait une visite impromptue à sa famille à Affreville. «Son aspect externe était dans un état lamentable. Il avait pris un bain et avait changé de vêtements. Avant de nous quitter, il nous a dit de ne plus le chercher et que désormais, il appartient à l’Algérie. Depuis, nous ne l’avons plus jamais revu», nous révèle Yamina. Deux mois après le 1er Novembre, il a fait une rencontre déterminante. Son chemin et celui de Amar Ouamarane se croisent. C’est une autre étape majeure de la vie de Bougara le révolutionnaire. Ouamrane qui a la responsabilité de la zone de combat allant de Maison Carrée à Bouira et une partie du sud d’Alger jusqu’à Tablat charge Bougara de l’explication des objectifs du FLN/ALN à la population de la région du Zaccar, d’Orleansville et de Thenit El Had. L’organisation politique de ces populations, le recrutement des djounouds et la collecte des fonds font aussi partie des tâches de Si M’hamed. Fin 1955, l’idéaliste de Khemis Miliana fait partie désormais des principaux chefs de la Révolution qui aboutira à l’indépendance du pays. Il intègre le quatuor Amar Ouamrane, Sadek Dhiles, et Salah Zaâmoum qui dirige la zone 4. Ce comité est placé sous l’autorité de Ouamrane. A ce titre, Si M’hamed participe au Congrès de la Soummam (20 août au 5 septembre 1956). Faut-il rappeler que ce conclave auquel a pris part Bougara a pris des décisions stratégiques pour l’avenir de la Révolution et celui du pays ? Au lendemain du congrès d’Ifri, la zone 4 devint la Wilaya 4 dirigée de manière collégiale par les 4 responsables cités plus haut. Bougara a été chargé d’abord de l’organisation politique. Il veille à l’application des résolutions du congrès de la Soummam. Avril 1957, il est désigné à la tête de la Wilaya 4 avec grade de colonel. Inlassablement, il s’est employé à structurer et à moderniser cette importante Wilaya. «Vous qui venez des villes, vous avez des diplômes, vous disposez d’une éducation acquise au banc de l’Université ou du lycée. Vous serez étonnés de ce que vous apprendrez auprès de votre peuple, car l’enseignement acquis à l’école du peuple n’est dispensé par aucune université. Apprenez leur ce que vous savez, mais apprenez aussi tout ce qu’ils savent ! Vous serez étonnés», disait-il aux lettrés citadins qui rejoignaient le maquis de l’ALN. Il entretenait une relation suivie avec le colonel Amirouche. Il était totalement en phase avec chef de la Wilaya III au sujet de la situation politique du pays et de la Révolution. Ils conjuguaient leurs efforts pour mettre à nu les faiblesses dans les structures du FLN/ALN et la mise en pratique des résolutions du congrès de la Soummam. Comparer Bougara à un volcan n’est pas synonyme de violence. Bien au contraire. C’est sa foi en son peuple et ses capacités de donner l’exemple et de commander aux hommes d’aller mourir pour un rêve qui font sa force devant l’ennemi. «Au cours d’une mission qui m’avait été confiée, je tombais un jour sur un commando de la Wilaya 4. Tout le jour durant, je me trouvais dans l’impossibilité de connaître le chef de ces trois compagnies. Je dormis même avec elles sans que ma curiosité fut satisfaite. Le lendemain au réveil, le commando, au grand complet, présenta les armes à celui-là même qui avait refusé de partager ma petite natte préférant se coucher sur le sol. Ce fut ainsi que je connus le colonel Si M’hamed», témoigne Si Mohand Arav Bessaoud. La tolérance de Si M’hamed était une légende dans les monts de la région qu’il commandait. Elle n’a jamais été démentie. Pour l’exemple, il a veillé à ce qu’une petite congrégation religieuse chrétienne installée dans les monts de Bissa soit protégée. Il ne manquait pas de dire ce qu’il pensait à ce propos. Madoui Rémy, déserteur de l’armée française, lui a prêté ces propos : «Il ne faut pas oublier un instant que notre Révolution n’est pas une guerre de religion. Le peuple algérien est musulman, chrétien, juif, agnostique ou croyant non pratiquant tout simplement.» Ahmed Bougara avait, dans un contexte où même le rêve pour l’indépendance de l’Algérie relevait de l’insensé, cru au destin de son peuple. Grandement convaincu, il avait milité, combattu puis péri pour une cause juste. Alors rêvons en 2009 que notre pays soit dirigé par des hommes et des femmes de la trempe de Si M’hamed.
Abachi L.
SOURCES
- Fondation de la Wilaya 4 historique
- Déclarations sœur du martyr
- Livre Les frères contemplatifs en zone de combat Algérie 1954/1962, Wilaya 4