[ 11/08/10 - 01H00 - Les Echos - actualisé à 00:36:53 ]
A soixante-neuf ans, Eginhard Vietz, patron d'une PME de Hanovre qui porte son nom, en a vu d'autres question versement de pots-de-vin. Si les grands noms de l'industrie comme Siemens, Daimler, MAN ont trempé dans des affaires de corruption et jurent désormais qu'on ne les y reprendra plus, Eginhard Vietz affirme sans détour, dans une interview au quotidien « Handelsblatt », qu'il continue à pratiquer la corruption d'agents étrangers. Pour cet industriel, qui livre dans le monde des équipements pour la construction de pipelines, « il y a des pays où cela ne marche pas autrement », citant l'Algérie, l'Egypte et le Nigeria, également la Russie. La procédure semble toujours être la même, raconte Vietz. Chez le client, le responsable de l'octroi des marchés, le plus souvent un agent public, perçoit une commission sur facture représentant une partie de la somme du contrat. Un compte en Suisse est désigné sur lequel l'argent est viré et le tour est joué. La marge de l'entrepreneur en souffre-t-elle ? Non, car la somme, qui peut représenter 10 % du contrat, est réintégrée dans le prix du devis. Parfois, des marchés lui ont échappé car des concurrents ont promis davantage sous la table. Pour ce patron, figure emblématique d'un « Mittelstand » allemand triomphant à l'international, la corruption de fonctionnaires revient à une affaire de « niveau de vie ». Les agents chargés de collecter les pots-de-vin vivent parfois à quatre dans 30 mètres carrés, a-t-il constaté de ses yeux. Quand ces derniers sont invités par les entreprises soumettant une offre, en Allemagne ou aux Etats-Unis, pour y voir les rutilantes machines en usine puis partager un copieux repas, c'est un moment de « luxe absolu » pour ces exécutants, qui veulent récupérer une part de ce bien-être en retour. « C'est humain », reconnaît Vietz. A-t-il mauvaise conscience ? Aurait-il pu refuser de signer certains contrats ? « Et après ? Je dois renvoyer mes gens à la maison ? Je ne peux tout de même pas changer la face du monde. » La part d'ombre du commerce extérieur narrée de façon directe par un patron, cela n'arrive pas tous les jours. Et cela pendant que des multinationales se parent de vertu en annonçant l'embauche de dizaines, parfois de centaines d'agents chargés en interne de veiller à l'éthique dans les affaires. Verdict là-dessus d'Eginhard Vietz : « Tout cela n'est qu'une pure hypocrisie. »
JEAN-PHILIPPE LACOUR (FRANCFORT), Les Echos