«Hommage à Mohammed Arkoun». L’intitulé de l’édition du 18 décembre du forum les Débats d’El Watan a suffi pour drainer une grande foule. Le sujet intéresse les Algériens, jeunes et vieux, dont l’envie de connaître cet éminent penseur de l’Islam et son œuvre abondante reste toujours inassouvie.
Et la thématique a fait salle comble. En effet, sans surprise, la salle de conférences de l’hôtel Es Safir d’Alger était pleine à craquer. Une foule nombreuse a tenu à assister à la rencontre et écouter les témoignages des deux conférenciers, Yadh Ben Achour, doyen de la faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, et Mohammed Hocine Benkheira, directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études de Paris (France).
Le rendez-vous a tenu toutes ses promesses. L’assistance a eu droit, pendant quatre heures (de 14h à 18h), à des échanges contradictoires sur l’œuvre et le parcours de Mohammed Arkoun, décédé le 14 septembre dernier à Paris.
Même si les participants auraient voulu l’écouter lui-même. «M. Belhouchet et moi-même avions voulu inaugurer la série du forum les Débats d’El Watan, en 2006, en invitant Mohamed Arkoun. Il avait donné son accord de principe, avant de se rétracter pour des raisons sécuritaires», explique d’emblée le modérateur de la conférence, Mohammed Hachemaoui. Mais il faut expliquer aux Algériens la pensée «arkounienne» et lever toutes les équivoques sur les idées qu’il a longuement défendues.
Pourquoi la pensée «arkounienne» rencontre-t-elle une farouche opposition en Algérie et dans la majorité des pays arabes ? Pourquoi ses ouvrages ne sont pas disponibles en Algérie ? L’Islam et le Coran sont-ils incompatibles avec les idées réformatrices ? Il faut dire que les exposés des deux conférenciers ont suscité de nombreuses questions. C’est en particulier l’intervention critique de M. Benkheira à l’égard de l’œuvre de Mohammed Arkoun qui a provoqué le plus d’interrogations. Son jugement négatif de la contribution de l’enfant de Taourirt Mimoun (Tizi Ouzou) aux études islamiques a soulevé des réactions à la limite de l’indignation.
«Mohammed Arkoun a fait école»
«Je connaissais bien Arkoun et j’ai fait ma thèse sous sa direction. Mais j’ai essayé de faire une évaluation critique de sa contribution aux études islamiques», précise M. Benkheira. A une question relative à sa position par rapport au Coran, ce dernier affirme qu’il n’est pas un mufti : «Je n’ai pas de position par rapport au Coran. Je ne suis pas un mufti. Ce que je dis est que le Coran est un texte. Est-ce que le texte a un sens unique et
univoque ? Le Coran n’a jamais eu un sens unique. Le changement se fait constamment», en faisant référence à la différence entre l’interprétation du Coran chez les sunnites et les chiites. Intervenant dans ce sens, Yadh Ben Achour consolide cette idée : «Je défie quiconque de me donner un verset coranique clair. Mohamed Arkoun a raison de dire que le texte coranique est ouvert. Donnez-moi un seul texte coranique qu’on puisse utiliser comme un texte législatif.»
Soulignant les critiques faites par une partie des musulmans à certains transmetteurs du Hadith du Prophète Mohamed, M. Ben Achour se dit pour l’idée de Mohammed Arkoun qui invite les musulmans à analyser ce qu’on leur transmet.
Dans la foulée, l’orateur répond même à son collègue Mohammed Hocine Benkheira qui affirmait que «personne n’a suivi le chemin tracé par Mohammed Arkoun». «Ceux qui disent que Arkoun n’a pas créé d’école se trompent. Ses disciples existent et ils sont nombreux. Mais une pensée novatrice met beaucoup de temps pour qu’elle soit intériorisée», objecte-t-il.
Les deux conférenciers se mettent d’accord, toutefois, sur la mauvaise interprétation du texte coranique.
La lapidation, précisent-ils par exemple, n’a aucune existence dans le Coran.
De même pour la polygamie qui est très codifiée dans le texte sacré. «Il y a un système de pensée installé par nos ancêtres et qui est fait pour durer. C’est ce système que Mohammed Arkoun a essayé de boxer pour le faire tomber», a conclu Yadh Ben Achour.
Madjid Makedhi