La grève des 8 jours (28 janvier – 4 février 1957) évoquée au Forum de la Mémoire : Une victoire politique
En vue de créer un grand événement qui mobiliserait tout le peuple algérien autour du FLN, confirmer le caractère populaire de la Révolution de Novembre et internationaliser la question algérienne, coïncidant avec l’ouverture de la session de l’ONU prévue le 6 décembre 1956, puis reportée au 20 décembre pour être fixée finalement au 28 janvier 1957, le CEE avait pris la décision d’organiser une grève de 8 jours. Elle aura lieu du 28 janvier au 4 février 1957. Le Forum de la Mémoire d’El Moudjahid est revenu, hier, sur ce haut fait historique qui a propulsé la question algérienne au niveau de l’ONU.
Ameur Rkhila, juriste et chercheur en histoire, a replongé, hier, les présents au Forum de la Mémoire d’El Moudjahid, initié en coordination avec l’association Machaâl Echahid, dans des rappels historiques sur les raisons et les conséquences internes et internationales de la grève des 8 jours décidée par le CCE. Devant des élèves du lycée Frantz-Fanon et Zineb Oum El- Massakine, des moudjahidine, les membres de la famille du chahid Debbih Cherif et la moudjahida Zohra Drif Bitat, qui a brillé par sa présence, le conférencier, d’une manière académique, a cerné les tenants et les aboutissants de la grève qui a mobilisé des milliers d’Algériens. Pour l’historien, la décision d’organiser une grève est un grand défi qui a mis à nu le vrai visage de la France coloniale. Dans ce sillage, il dit que les initiateurs de ce mouvement ont réussi à confirmer le caractère populaire de la Révolution. Ce qui a constitué une réponse cinglante aux autorités coloniales qui tentaient, par tous les moyens, de semer le doute sur l’action révolutionnaire des moudjahidine, d’isoler la Révolution et surtout de faire croire à l’opinion internationale qu’il s’agit d’un problème franco-français. Ameur Rkhila est donc revenu en détails sur la décision du CEE, instance émanant du congrès de la Soummam chargée de diriger la Révolution à partir d’Alger, devenue ZAA (Zone autonome d’Alger). De son point de vue, l’action du CEE, composé d’Abane Ramdane, Larbi Ben Mhidi, Benyoucef BenKhedda et Saâd Dahlab, n’a pas été vaine. Parce qu’elle a été un révélateur sans pareil pour éclairer à leur juste mesur, les enjeux et les finalités stratégiques de la colonisation. Malgré les dégâts humains et matériels — 4.000 disparus, des milliers d’arrestation, ouverture des magasins par la force et pillage des marchandises — qu’elle a engendrés, la grève des huit jours a fait avancer notablement la cause de la Révolution algérienne. Et si pour certains, elle a été un désastre sur le plan militaire, elle a été une victoire politique et psychologique au regard des résultats. En effet, la grève a montré la représentativité du FLN, le triomphe de l’idée d’indépendance. Sur le plan diplomatique, un grand succès du FLN. Car, après discussion, l’ONU décide, le 15 février 1957, d’une résolution de compromis votée à l’unanimité (sauf la France) : pour une solution pacifique, démocratique et juste conformément à la charte de l’ONU. C’est que la grève des 8 jours avait atteint pleinement ses objectifs.
Nora Chergui
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Témoignages sur le chahid Debbih Cherif
Zohra Drif-Bitat : « Un vrai militant nationaliste et un visionnaire politique »
«Il est de mon devoir d’apporter ce témoignage sur le défunt Si Mourad. J’ai connu Si Mourad, fin 1956, à La Casbah. Il était alors avec les défunts Taleb Abderrahmane, Abdelghani Marsali et Alilou, dans la maison de Djamila Bouhired. Avec Taleb Abderrahmane, ils venaient de monter un laboratoire de fabrication de bombes au niveau de la villa des Roses, située à El-Biar, où est tombé au champ d’honneur, Si Rachid Kouach. Il faut dire que Si Mourad, qui était plus âgé que nous, tous était doté de sagesse et de maturité politique. Personnellement, j’ai beaucoup appris de Si Mourad en politique. Autre aspect de sa personnalité, il faisait constamment preuve d’une grande discrétion sur lui-même, à telle enseigne qu’aucun de nous n’avait une idée précise sur sa vie. En fait, c’était un militant nationaliste qui avait une vision politique, un homme de conviction et d’une grande disponibilité qui n’hésitait pas à prodiguer conseils et orientations aux nouvelles recrues de l’ALN. En ce qui concerne la grève des 8 jours, pour le FLN, cette grève était une grande victoire politique. Ce n’était pas une grève insurrectionnelle. C’est Massu et le pouvoir colonial français qui, pour avoir imposé les pleins pouvoirs, avaient dit que c’était une grève insurrectionnelle. Pour le FLN, il n’était pas question de vaincre la France militairement. Jamais, cela n’a été dans nos programmes. Nos dirigeants, des hommes politiques, connaissaient les données. Ils connaissaient la situation. La théorie du FLN était d’amener la France, sur le plan politique, à la table des négociations. On ne pouvait nous mesurer à la France que politiquement. La grève des 8 jours avait comme but essentiel d’internationaliser la question algérienne. Il fallait montrer à la face du monde, quel que soit le prix à payer — Abane, Mohamed Larbi Ben Mhidi et Benkhedda étaient de grands visionnaires politiques. Ils savaient que les Français allaient réagir terriblement, violemment — mais il fallait coûte que coûte que la question algérienne soit internationalisée. Donc, à mon avis, la grève a été un énorme succès puisque la question algérienne avait été posée devant l’Assemblée de l’ONU.»
Mme Fatiha Debbih, sœur du Chahid : « Ma famille a subi les représailles des autorités coloniales »
«On était 8 enfants : 4 frères et 4 sœurs. Aujourd’hui, tous mes frères et sœurs ne sont plus de ce monde. Il faut dire qu’on s’aimait énormément. Constatant que Cherif s’absentait souvent de la maison, mon frère aîné, qui avait peur pour lui, le lui reprochait, mais Cherif n’en faisait qu’à sa tête. Matin et soir, les policiers venaient à la maison, sise au Clos-Salembier (El-Madania actuellement, ndlr), et fouillaient la maison. Ils venaient à toute heure. À 4h, l’après-midi et le soir. Un jour, un policier en civil a dit à ma mère qu’«il était l’ami de son fils, parles-moi de lui». Ma mère lui avait répondu : «Mon fils, vous qui dites être ami de mon fils, dites-moi où il est ? Je suis une vieille femme. Je ne sors plus de la maison. Puisque vous êtes son ami, donnez-moi de ses nouvelles !» Tous les jours, on avait des policiers à la maison. Mes frères ont été torturés à un point inimaginable. Même le benjamin n’a pas été épargné. Il a été emprisonné à l’âge de 17 ans.»
Brahim Chergui, Moudjahid : « La grève a imposé le FLN comme seul négociateur »
«Lors de la grève des 8 jours, l’Algérie était pré-indépendante. Nous avions des commissions, notamment pour la justice et la santé. L’objectif de la grève était de porter la question algérienne à l’ONU. Il était également question d’affirmer que le FLN est le seul négociateur, pour ce qui concerne la partie algérienne.
Lorsqu’on a demandé notre avis psur la durée de la grève, on avait dit que 8 jours, c’était beaucoup, qu’il fallait opter plutôt pour 24 ou 48 heures. Mais les ordres étaient déjà donnés. Par cette grève, on avait décidé de transformer toutes les villes algériennes en villes mortes et de tirer sur tout ce qui bouge. Après la grève, il y avait alors 23.000 détenus et 4.000 disparus.
Mais la grève des 8 jours avait des aspects très positifs. Le FLN s’est imposé comme le seul représentant du peuple et le seul négociateur. Deuxièmement, tous les pays du monde étaient favorables à l’indépendance de l’Algérie.»
El-Hachemi El-Arabi, Moudjahid : « Debbih Cherif était un leader »
«J’ai connu Debbih Cherif lorsqu’il avait 5 ans à peine. Et c’est en ma compagnie qu’il a été initié à la lecture et à l’écriture. Jamais de sa vie, il n’avait rejoint les bancs de l’école. Nous achetions des BD qu’on s’échangeait, et c’est ainsi qu’il avait appris à lire et à écrire. Il faut dire que Debbih Cherif était un grand homme. De 1948 à 1950, était était chez Messali, à Bouzaréah. En 1950, la répression s’abat sur l’OS (organisation secrète, ndlr) et ses réseaux. À l’époque, Didouche était en France. Boudiaf devait le rejoindre. Debbih était avec Boudiaf, en France où il était resté 2 années, soit de 1950 à 1952. Lorsque Debbih est revenu au pays, il est directement venu chez moi, à la maison. Depuis notre rencontre, jamais je ne l’ai quitté, jusqu’au 19 mai 1956. Debbih Cherif était un grand homme, très nationaliste, un leader. Je dois beaucoup à Debbih Cherif.»
Propos recueillis par Soraya G.http://www.elmoudjahid.com/fr/actualites/53366