A l’occasion de la Journée du chahid, Ighzar’ N’Chréa se souvient de ses martyrs. Voila un témoignage, un résumé repris d’un livre de l’association du village, intitulé Chréa : histoire et militantisme.
Dès l’aube d’un vendredi consacré aux discussions, dans le cadre de « tadjmaât », structure sociale ancestrale, sur ce qui a trait à la vie commune et à la prière, le village est encerclé par l’armée qui saccageait tout. J’avais dix-sept ans. Vers 7 h, les coups de feu d’un fusil de chasse se firent entendre, c’était à Thala Hamza... Le moudjahid Belazoug, dit Mohamed Laâlami, avait pris position dans un ravin camouflé par une dense végétation. Découvert par un chien de l’armée, il avait résisté pendant des heures, tuant sept soldats, leur chien et faisant plusieurs blessés, avant de tomber au champ d’honneur. C’était l’affolement des soldats qui menaçaient de fusiller tous les hommes du village. L’ordre fut donné d’évacuer le village...
Les soldats mettaient le feu à toutes les maisons... et des colonnes de fumée emplissaient le ciel. L’ampleur du désastre n’a pas satisfait l’armée ; un autre ordre fut diffusé, sommant les femmes et les enfants de rejoindre Ahfir, sur les hauteurs. Au même moment, les canons placés à Thighremt, sur la route reliant Sétif à Guenzet, arrosaient le village d’une pluie d’obus. Une fois la fumée dissipée, l’ampleur du carnage apparut sous nos yeux : à Thighilt Izougaghen, on dénombre 7 morts et plusieurs blessés. Sur notre route se trouvaient deux cadavres, tués par balles à bout pourtant, un trou rouge sur le front. A cinquante mètres, à Thazedhant, se trouvaient trois autres cadavres tués de la même manière. A Ahfir, un autre cadavre criblé de balles, était allongé en face des hommes entassés comme du troupeau, sous le regard menaçant des soldats qui dirigeaient leurs armes vers leurs têtes. J’étais mis de côté avec mon frère blessé sans que personne n’intervienne... Au même moment, à Thighremt, trois hommes ont été fusillés.
On comptait les secondes et les minutes, la journée s’étirait à n’en plus finir. En fin de journée, les militaires n’avaient laissé que désolation et un village martyrisé. On m’avait embarqué sur un camion avec mon frère blessé vers l’hôpital de Sétif où il avait rendu l’âme le jour-même. Je me souviens que j’étais entouré de gens faisant de leur mieux pour me consoler. On m’a ramené au village le lendemain. Ce qui s’était passé à Chréa s’était répété dans plusieurs villages d’Algérie.
Cet Ighzer, dit rebelle et incontrôlable qui occupait une place stratégique par sa végétation dense, n’a cessé de porter le flambeau de la lutte, même après avoir été incendié en 1871 pour sa participation à la révolte d’El Mokrani et de cheikh El Haddad. Cette Kabylie, à l’instar de plusieurs régions d’Algérie, est considérée comme l’un des bastions des révoltes. Ath Yaâla a été une place forte du mouvement national en s’engageant, dès la révolution du 1er Novembre 1954, dans la lutte armée. On cite trois batailles significatives : celles de Sidi M’hand Ouyahia (1955), de adrar n’Thilla (opération Dufour en 1956) et celle du « grand ratissage » (1958).Par Amar Djerrad