DE LA VENTE DES ARMES À LEUR MANIEMENTLe chahid Tayeb Belazzoug
Par Assem MADJIDS’il y a un nom à retenir à Beni Laâlam, à Zemmoura, durant la guerre libération, c’est incontestablement celui de la famille Belazzoug. Ses empreintes sont indélébiles et étroitement liées aux huit années de lutte contre l’occupant. L’histoire de cette famille, dont le tribut payé durant cette période est extrêmement lourd, se raconte toujours dans une région très tôt prise dans l’engrenage de la répression coloniale.
En fait, c’est bien avant le déclenchement de l’insurrection armée que cette famille commence à avoir des démêlées avec l’armée française. Le passage à l’action armée, le 1er novembre 1954, a exacerbé la pression sur les Belazzoug surveillés de près. Tayeb Belazzoug, vendeur d’armes, écumait les régions de Bordj Bou Arréridj, M’sila et Bejaïa pour écouler sa marchandise. Un vendeur d’armes à cette époque ne pouvait passer inaperçu ni s’occuper de son commerce dans la quiétude. Quelques mois après le soulèvement armé, le village de Béni Laâlam est étroitement surveillé. La présence de l’armée française dans les parages ne dissuade pas Tayeb, déjà pris par la fièvre du maniement des armes. Sa femme Ghaïa Rejdel, nonagénaire, se rappelle cette époque malgré le poids des années : « Mon mari, de caractère dur, vouait une haine viscérale à l’occupant. La présence des soldats français dans la région le rendait nerveux, prêt à appuyer sur la gâchette. » Un comportement prémonitoire comme si Tayeb Belazzoug savait que son destin était déjà tout tracé.
Contacté par le FLN pour approvisionner le maquis en armes et en munitions, il saute sur l’occasion. Sur instruction de l’ALN, il est, au début de l’année 1955, uniquement chargé de l’approvisionnement. Une mission extrêmement dangereuse que Tayeb a acceptée. C’est là justement le tournant dans la vie de ce moudjahid, tombé au champ d’honneur, les armes à la main.
Un jour de cette même année, sa maison est prise d’assaut par des hommes inconnus mis au parfum de son activité. « Ils sont venus réclamer des armes. Tayeb les a mis en joue et les a enjoints de s’éloigner de sa maison. Les deux hommes s’approchaient de plus en plus. Mon mari ouvre le feu et blesse l’un d’eux qui s’écroule au sol », relate sa femme Ghaïa qui, ce jour-là, était à ses côtés et l’encourageait à mourir en homme. « Mout ouaqef », lui disait-elle tout en s’occupant de l’alimenter en munitions pour faire face à ces assaillants. À partir de cet instant, Tayeb Belazzoug, qui, en plus de Ghaïa, avait deux autres femmes, a pris le chemin du maquis. Il était le premier des Belazzoug à ouvrir le bal pour les autres membres de sa famille. Amirouche, H’mimi et Aissa El Boundaoui, ont, certes, volé à son secours, mais la décision de Tayeb est irréversible. Depuis cette date, il ne venait que rarement rendre visite à sa famille. Très méfiant, il ne faisait confiance à personne.
En 1957, lors de l’une de ses rares visites, en compagnie de sept autres djounoud, un harki les dénonce. « Vigilant et méfiant, mon défunt mari a pris le soin de distiller une fausse information sur leur lieu de rencontre », raconte encore Ghaïa. L’armée française menée en bateau a investi le faux lieu mais aucune trace de Tayeb et de ses compagnons. Se rendant compte qu’ils ont été floués, les soldats français se sont accrochés avec Belkacem Redjouh et son fils Abderrahmane qui faisaient le guet. Avant de tomber sous les balles ennemies, ils se sont vaillamment défendus et en même temps ont averti les autres de la présence des éléments de l’armée françaises. C’était là la dernière fois que Tayeb a vu les siens.
Valeureux moudjahid de la Wilaya III, il a côtoyé de braves combattants, à l’image de H’mimi, le fidèle compagnon de Amirouche, et de plusieurs autres de sa famille qui l’ont rejoint au maquis tels Driss, Mohamed, Si El-Khatir, tous tombés au champ d’honneur. En fait, pas moins de 34 membres de cette famille se sont sacrifiés pour que l’Algérie recouvre son indépendance. Cette famille a tout perdu durant la guerre, maisons et oliviers, il ne lui restait plus rien que défendre son honneur et celui de son pays. Les Belazzoug l’ont fait avec bravoure et un courage inégalé comme l’a fait Mohamed Belazzoug qui, à lui seul, a livré bataille à une armée de soldats et a fini par en abattre sept avant de tomber glorieusement sous les balles ennemies. Son aîné Tayeb est lui aussi mort au champ de bataille en 1958, à Chikbou, dans la Soummam. Son cousin Layache a subi le même sort dans la même bataille. C’est dire tout le sacrifice consenti par cette famille qui a donné les meilleurs de ses fils pour l’indépendance de l’Algérie. Jusqu’à l’heure actuelle, sa famille ignore le lieu de son enterrement malgré les multiples recherches effectuées par ses fils.
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