Une nouvelle barbarie à visage plaisant, démocratique, humanitaire, bivouaque et laboure de nouveau la planète : l’intolérance démocratique. Ce nouveau monothéisme étroit, rigide, monolithique, monocolore, sectaire, grondant, agressif, dangereux, cette nouvelle idéologie de la dominance universelle affirme sans ambages qu’il y aurait quelque part à Paris, à Washington et à Bruxelles des gardiens de la démocratie chargés de veiller sur la pratique démocratique à l’échelle planétaire. Et il reviendrait, de droit, à ces nouveaux ayatollahs - autoproclamés ultimes et seuls juges du bon fonctionnement de la démocratie dans le monde – de bombarder, de tuer dès lors qu’ils estimeraient la démocratie bafouée dans sa pureté, dans son illumination dans ces pays là-bas, ces pays du Sud. Evidement.
Ce nouveau despotisme, ce nouvel obscurantisme radical qui récuse l’humanité dans son existence plurielle, couve et couvre en réalité une barbare ambition d’appropriation matérielle du monde, une volonté sans limites de prédation économique. Et il est dans le comportement de ses phraseurs et de ses tenanciers; il est dans le reflexe de ces hominiens à l’âme de pierre, de bannir, de diaboliser, de stigmatiser, de frapper de blasphème tout pouvoir d’un pays faible qui ne leur revient pas, qui ne se courbe pas, qui ne plie pas. La non-adhésion à leur monothéisme démocratique vaut crime public, criminalisation, diabolisation, guillotine. Morts aux hérétiques ! Mort aux blasphémateurs ! Mort à tous les blasphémateurs ! N’est-il pas écrit que « celui qui ne croira pas sera condamné à périr » ?
Oui, l’intolérance démocratique est toute aussi barbare, brutale, délirante que le fanatisme religieux, que l’intégrisme religieux. Elle procède de la même logique ; elle dérive de la même vision divinisée, manichéenne de la vérité et du monde. Une vision qui divise les hommes et les pouvoirs en bons prédestinés ou sauvés et en mauvais incurables à purger ; une vision qui puise son discours, son vocable dans une langue exclusive, binaire, guerrière, fascisante.
Et on peut bombarder Abidjan ; et on peut bombarder Tripoli ; et on peut écraser qui on veut. Selon la senteur portée par le vent de l’actualité, la senteur du cacao ou du pétrole. Oui, on peut. On peut laminer, bruler, massacrer. Puisque l’opinion de Washington à Paris en passant par Rome et Londres, puisque l’opinion mystifiée, la clairvoyance alanguie, zombifiée ; puisque l’opinion persuadée d’être du côté de la bonté humanitaire en mission de démocratie, puisque l’opinion approuve cette barbarie faite en son nom. On peut massacrer donc tranquillement. En toute quiétude. La conscience tranquille. Puisqu’il s’agit d’œuvrer à l’avènement du salut démocratique des peuples ; puisqu’il s’agit de guérir le monde des dictatures ; puisqu’il s’agit de propager le bien absolu, ce bien absolu que serait la démocratie purifiée, purifiée à la Maison Blanche, sanctifiée à l’Elysée.
Et il est demandé aux peuples bombardés d’accueillir la pluie des missiles purificatrice avec allégresse et enchantement. Comme on accueille la bonne nouvelle révélée. Il leur est demandé – ainsi qu’à tous les habitants de la planète-terre - d’applaudir en direct sur CNN, Al Jazeera ou France 24, ce courage magnanime de Paris, cette audace gracieuse de Washington, cette bienveillance débonnaire de Londres, cet humanisme philanthropique de Bruxelles, cette commune volonté de la « communauté internationale » de faire le bonheur démocratique des peuples.
Et les morts ? Ils ne comptent pas ; ils n’existent pas. La guerre est un jeu-vidéo. Quoi ? Les pertes en vies humaines ? Insignifiantes ! Infimes ! Négligeables ! Zéro mort ! On dicte jusqu’aux normes de la gravité et de l’importance – insignifiante - des vies perdues. Zéro mort ! Puisque toutes les morts appartiennent au camp des barbares d’en face. Zéro mort donc! C’est que le bonheur démocratique se soucie peu de la vie dès qu’elle n’est ni américaine, ni européenne; c’est que l’intolérance démocratique n’est pas concernée, engagée par la vie de « ceux qui ne sont pas des nôtres » : légitime alors ce recours de plus en plus coutumier à la sauvagerie totale des bombardements ; légitime d’être cruel, légitime d’être féroce, impitoyable. Oui, il est permis de pulvériser, de réduire la vie en cendres ; oui, il est permis de déchirer, d’incendier, de déchiqueter des pays, de fabriquer des morts sans nombre, de tuer puisque c’est par sollicitude, puisque c’est par générosité, puisque c’est par humanisme démocratique !
Tout est permis : puisqu’il s’agit de faire rentrer dans la communauté des « sauvés », ces peuples non encore démocratisés; puisqu’il s’agit de fonder la cité démocratique globale et vertueuse ; puisqu’il s’agit de créer un homme nouveau, démocratique, démocratisé! La démocratie a tous les droits, n’est-ce pas ? Tu bombarderas, tu tueras au nom de la démocratie. Et voilà la guerre ainsi instituée, banalisée comme honneur démocratique, comme recours démocratique, comme recours démocratique familier, ordinaire ; exaltation de l’expansion démocratique, union sacrée pour la démocratie ! La démocratie telle que certifiée – évidement, uniquement, exclusivement - par Paris, Washington et Bruxelles. Paris, Bruxelles, Washington, organes certificateurs du vrai démocratique sacralisé! Discours religieux.
Ce discours, ce délire mystique qui mêle dogmatisme religieux et ethnocentrisme exalté, ce mythe de la démocratie monocolore, obligatoire, totale, divinisée, est en réalité dissimulation d’une nouvelle volonté impériale; il est légitimation idéologique de la volonté de quelques puissants du jour d’imposer, de renforcer, d’étendre leur emprise sur le monde. Ce discours qui se dit humanitaire est en vérité ce qu’il ne dit pas, ce qu’il ne veut point dire : la justification idéologique d’une nouvelle barbarie grisée de toute puissance et de sentiment d’infaillibilité ; la résurgence d’une ancienne désormais nouvelle barbarie avide de nouveau de tout prendre, avide de tout dévorer, encore et encore.
Ce nouveau fascisme qui s’avance masqué, ce nouveau fascisme mystificateur annonce - si nous n’y prenons pas garde - en plein XXIème siècle, le retour du royaume enragé du XIXème siècle avec tout son arbitraire, toute la rage de sa violence institutionnalisée, banalisée, toute la brutalité et l’inhumanité de ses terrifiantes et monstrueuses mises à part et asservissements ; asservissements des plus faibles par les plus forts, des sans-défense par les surarmés. Et nous n’aurons pas l’excuse de dire que, si nous ne nous sommes pas indignés et levés, c’est parce que nous ne savions pas ! Alors ?
Il est temps de se lever et de marcher comme marchèrent ceux des années refusant la guerre du Vietnam ; il est temps de se lever et de marcher comme Martin Luther King marchant sur Washington pour refuser la domination de quelques uns sur tous ; il est temps de se lever et de marcher comme ceux debout contre la guerre d’Algérie refusant les routes coloniales ; il est temps de se lever et de marcher comme ceux de Tunis et de la Place Tahrir marchant loin des ombres des servitudes de la loi Ben Ali et la loi Moubarak, longtemps imposées de Paris et de Washington.Il est temps de marcher de nouveau le pas vrai affirmant l’égalité des hommes, le respect de la vie et la démocratie comme invention de soi et non corps greffé de l’extérieur à coups de rafales et de bombes.
Martin Luther King s’élevant contre la guerre du Vietnam nous parle encore aujourd’hui: « Il y a un moment où le silence devient trahison.(…) Certains d’entre nous qui ont déjà commencé à briser le silence ont découvert que parler les exposait à des souffrances. Mais nous devons parler, avec toute l’humilité qui convient à notre vision limitée des choses, mais nous devons élever la voix. (…) L’arrogance de l’Occident qui consiste à penser qu’il a quelque chose à apprendre aux autres et rien à apprendre d’eux n’est pas juste. Une vraie révolution des valeurs examinera l’ordre mondial et dira de la guerre: Cette façon de régler les différends n’est pas juste. (…) Une nation qui continue de dépenser d’année en année plus d’argent pour la défense que pour les programmes sociaux est proche de la mort spirituelle. »
Source : Africa time for peace