Au risque d’alourdir quelque peu notre propos, il nous semble important de rappeler des éléments-clés de l’histoire médiévale de ce qui deviendra la Kabylie, rappel indispensable à notre effort d’historicisation. Vues de Kairouan (sud de la Tunisie) et par les premiers acteurs de la conquête arabe et islamique, les montagnes autour de Béjaïa sont appelées « el ‘adua » (l’ennemie) pour leur résistance (Féraud 2001 ; Cambuzat 1986)14. Il court même des explications fantaisistes sur l’origine du toponyme désignant la future cité-État. Béjaïa viendrait du mot arabe Baqâyâ15 (les restes, les survivants), parce qu’elle aurait servi de refuge aux chrétiens et juifs de Constantine et Sétif.
Mais les choses évoluent assez vite et il semble que ce pays difficile d’accès accueille très tôt le prosélytisme chiite fatimide. C’est de cette région que partiront les futurs fondateurs du Caire, les Ketama Senhadja (Dachraoui 1981). L’importance de la célébration de « Taacurt » (l’achourah) en Kabylie serait un lointain témoignage de cette époque tumultueuse.
Les Fatimides s’installent dans l’Égypte, plus centrale et donc plus adaptée à leurs desseins politiques. Leurs vassaux berbères au Maghreb, les Zirides Senhadjas, rompent avec le chiisme et font acte d’allégeance au califat sunnite orthodoxe de Bagdad. En guise de vengeance, les maîtres du Caire envoient les Banû Hilâl au Maghreb, qu’ils leur donnent en « iqtâ’ » (fief).
Sous leur pression, mais aussi, comme l’expliquent Marc Côte (1991) et Abdallah Laroui (1970), sous l’effet de la nouvelle orientation des voies commerciales vers la Méditerranée, une des deux branches vassales des Fatimides, celle des Hammadites, transfère sa capitale du Hodna (hauts-plateaux au sud-est de l’Algérie)16 vers la côte méditerranéenne où elle fonde la ville de Béjaïa sur le site de la ville antique de Saldae.
Parmi les tribus qui occupent l’arrière-pays de cette cité, des sources médiévales, dont Ibn Khaldûn qui a été chambellan auprès des émirs hafsides dans la ville de Béjaïa (Lacoste 1985) et son frère Yahya17 citent les Zouaouas18. La lecture de ces sources par Émile-Félix Gautier (1952), mais aussi par un auteur moins partial et plus récent, le tunisien Salah Baïzig (1997) est édifiante. Elle nous donne à voir une relation « harmonieuse » entre les États berbères musulmans hammadite puis hafside et les tribus des alentours de Béjaïa. E.-F. Gautier parle d’un « royaume kabyle… une des faces du royaume senhadja », l’autre étant l’Ifriqya (actuelle Tunisie). Pour lui, la qualité de cette relation prouve que cet État n’était pas un étranger pour ces tribus, Béjaïa était « leur propre capitale ». Le principe de force de l’État hammadite, écrit-il, était la Kabylie : « Ikdjane, la Kal’a, Achir, Bougie résument l’histoire des Ketama-Senhadja et montrent la Kabylie dans son articulation essentielle. Les trois premiers points jalonnent sa frontière, le dernier marque le cœur. »
a suivre....