par Bélaïd Abane * / le quotidien d'Oran du 8 septembre 2008.
Les Algériens penchent au contraire du côté frontiste. Et ce n'est pas, comme on a toujours voulu le faire croire, une question de terreur. Le secret est dans la simplicité et la clarté d'une promesse concrète de libération (tahrir) et d'indépendance (istiqlal). Et dans une exigence aussi simple : l'union du peuple et l'unité révolutionnaire sans faille. Pour Abane comme pour les autres dirigeants frontistes, cette exigence est dictée par un principe révolutionnaire, «l'unité d'action et de commandement», sans lequel la lutte serait vaine. Car, «il ne faut jamais oublier que jusqu'au déclenchement de la Révolution, la force de l'impérialisme français ne résidait pas seulement dans sa puissance militaire et policière, mais dans la faiblesse du pays dominé, divisé, mal préparé à la lutte organisée » (Plate-forme de la Soummam). Du passé, on a donc tiré la leçon : on ne laissera plus «la puissance irrésistible de la colère populaire se perdre comme la force extraordinaire du torrent qui s'évanouit dans les sables». Cette exigence d'unité, d'efficacité et d'organisation, est celle précisément qui a fait défaut aux Algériens dans le passé et permis au colonialisme de triompher et d'asseoir sa domination sur notre pays.
Quid du messalisme ? Rappelons que, bien avant le début des hostilités, l'intransigeance et la volonté de contrôle sans partage du mouvement de libération étaient plutôt du côté MNA. Que le FLN n'avait décidé d'écarter son rival qu'après mûre réflexion et moult démarches infructueuses auprès des responsables messalistes. Rappelons également les exigences exorbitantes de Messali et de ses partisans à l'égard des frontistes pour lesquels ils n'éprouvaient alors que mépris. L'hégémonisme l'était donc autant du côté MNA, jusqu'au moment où la victoire choisit son camp, celui du FLN. Le MNA commencera alors à voir la réalité en face et devient, il est vrai, plus conciliant.
Pour le FLN donc, comme pour le MNA, à un moment ou à un autre, l'existence de l'un exige la disparition de l'autre. Mais, pourrait-on demander à M. Benachenhou, d'où vient alors que la légitimité soit, aujourd'hui, l'héritage exclusif du FLN, même quand ce dernier est tenu pour le principal responsable du drame qui s'est joué entre les deux «frères ennemis» ?
La première explication, la plus facile, qui est, hélas, admettons-le, une constante de l'histoire des hommes et des peuples, est que le plus fort a toujours raison, sur tout. L'historiographie et parfois même l'Histoire avec un grand H, sont celles que fabrique le vainqueur à sa gloire et à son bénéfice exclusif.
La seconde est incontestablement, comme nous venons de le rappeler, l'adhésion populaire au message d'espoir, clair et sans ambiguïté, du FLN.
Si, enfin, on ose regarder au fond des choses, on verra, même si c'est une vérité qui n'est pas toujours bonne à dire, que les messalistes ont combattu moins le colonialisme que le FLN, pour la gloire de Messali et le messalisme, dénaturant le sens même de leur combat et de leurs engagements passés. On notera également qu'à leurs yeux, l'objectif de la libération nationale était devenu secondaire devant le «péril FLN» qui menaçait de déboulonner la statue du Zaïm. Arrêtons là nos observations pour ne pas raviver les blessures d'une mémoire nationale encore si sensible, comme vient d'en témoigner la réponse de M. Benachenhou. Laissons à nos historiens «le droit d'inventaire».
Quand au FLN, obsédé par la division, la dispersion des forces et l'échec, il se bat, certes avec une détermination sauvage. Mais il le fait pour préserver l'unité révolutionnaire, condition sine qua none de la victoire sur le colonialisme, avec la conviction d'agir pour l'intérêt général.
Les motivations des deux prétendants à la suprématie sont donc diamétralement opposées. Pour le MNA, c'est le culte de la personnalité voué à Messali dont il faut à tout prix préserver le statut de chef incontesté et infaillible. Quand au FLN, convaincu d'incarner le courant majoritaire du mouvement national, et donc le peuple algérien tout entier, sa motivation est l'unité de la nation, sans laquelle le mouvement sombrerait inévitablement dans l'échec. Une valeur qu'il faut préserver, quel que soit le prix à payer. Cette recherche obsessionnelle de l'unanimité nationale est donc l'énergie qui porte le FLN, motive ses actions et renforce sa résolution d'en finir avec tout mouvement qui viendrait à contrecarrer son projet libérateur.
Exigence impérieuse et «sacrée», l'unité nationale révolutionnaire l'est d'autant que le FLN est acculé à se battre sur plusieurs fronts : contre l'armée française et ses troupes supplétives; contre le MNA et l'ANPA du «général» Bellounis; contre les faux maquis comme la force K de Djillali Belhadj alias Kobus, pour ne citer que le plus connu. Le FLN doit également faire face aux «escadrons de la mort» mis sur pied par le 2e Bureau français et les spécialistes de la guerre contre-révolutionnaire, pour semer le trouble dans la population par l'assassinat de patriotes algériens selon des procédés atroces, en s'arrangeant pour laisser une «signature» FLN. Telles sont les quelques réflexions inspirées par la réponse de M. Benachenhou.
Sur le plan de la forme, j'aimerais soumettre à l'appréciation du lecteur ces quelques phrases extraites de la réponse de M. Benachenhou lequel excelle dans l'art et la manière de «cogner tout en pleurant», un art qui est celui de se faire passer pour la victime alors qu'on profère soi-même des insultes grosses comme ça, qu'on prend néanmoins soin de bien envelopper. Le lecteur jugera lui-même si elles sont dignes d'un ancien officier de l'ALN, intellectuel et ancien ministre (à ne pas confondre avec l'actuel ministre M. Abdelatif Benachenhou) :
«S'il est un proche parent de Abane Ramdane, la violence de son ton ne m'étonne pas : il est un fait historique (sic !) reconnu (resic) et dont peuvent témoigner beaucoup de frères que Abane Ramdane ne se séparait jamais de son revolver qu'il mettait bien en évidence sur la table lorsqu'il discutait avec ses collègues».
«Malheur à quiconque ne se pâmerait pas d'admiration devant les hauts faits de feu Abane Ramdane».
«Je souhaiterais rappeler à Monsieur Bélaïd Abane que la guerre de libération a continué malgré la disparition de Abane Ramdane...Le peuple algérien s'est passé de lui pendant les quatre années et demi qui ont séparé sa disparition de l'indépendance».
«...Sans Messali El Hadj, Abane Ramdane n'aurait jamais été autre chose qu'un simple fonctionnaire communal».
Commentaire : au lieu de continuer à m'insulter moi, auteur de la mise au point à son opinion, et d'en rajouter un peu plus sur mes talents de «spécialiste de la désinformation» et sur mes tentatives d' «intimidation par la basse insulte», ce qui est à la rigueur de bonne guerre, M. Benachenhou s'en prend non pas aux idées ou aux actions, mais à la personne de Abane Ramdane. L'intention que je suspectais dans mon précédent article est maintenant avérée.
Pour lui rendre la monnaie de sa courtoisie conclusive, je remercie M. Benachenhou de m'avoir remercié et le remercie également au cas où il prendrait soin cette fois de me répondre sur le fond et non sur la forme, en l'assurant que pour moi le débat est définitivement clos, laissant les historiens, les intellectuels et les moudjahidine prendre le relais de notre échange si tel est leur souhait.
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* Professeur de médecine, auteur de l'Algérie en guerre. Abane Ramdane et les fusils de la rébellion. L'Harmattan 2008.